C’était le roi. Un avant-gardiste, un défricheur, un précurseur. Il a tout fait, avant tout le monde. Il a multiplié les gestes techniques et les audaces, fait entrer dans la légende le retourné acrobatique et le lob au-dessus du gardien de la ligne médiane (tenté en pleine Coupe du monde). Il a réussi la feinte de Cruyff avant Cruyff, la roulette de Zidane avant Zidane, le coup du foulard de Ronaldo bien avant Ronaldo.

À 17 ans, Pelé a marqué six buts en quatre matchs de Coupe du monde, dont trois en demi-finale et deux autres en finale, menant le Brésil à son premier de trois titres mondiaux sous son règne (1958, 1962, 1970). Un adolescent dominant le monde par son athlétisme, sa fantaisie, son inventivité, son instinct du but.

Je n’ai jamais eu la chance, bien sûr, de voir jouer Pelé. Je l’ai aperçu une fois, au loin, célébrant le dernier sacre du Brésil en Coupe du monde, en 2002, au Japon. Mais j’ai vu des extraits d’archives de ses plus beaux buts – et de certains qu’il a ratés au terme de manœuvres extraordinaires, dont le grand pont face au gardien uruguayen en demi-finale du Mondial de 1970 – à des centaines de reprises.

Chaque fois, je me suis dit qu’il donnait l’impression d’être des décennies en avance sur son temps. Ce n’est pas pour rien qu’il était surnommé le roi. Il aurait été tout aussi impérial en 2022, avec le même style de jeu qu’en 1962, dominant ses adversaires par son agilité, sa force physique, sa vision.

C’était l’archétypal numéro 10, le milieu offensif qui inscrivait des buts et en préparait d’autres pour ses coéquipiers.

Son nom a résonné pendant toute mon enfance. Il était synonyme de soccer, de football, de futebol. Un mythe. Je me souviens d’une fête chez un de mes coéquipiers de soccer, à 9 ou 10 ans. Sur le précieux magnétoscope VHS, que l’on n’avait pas encore la chance d’avoir à la maison, on avait regardé Escape to Victory, un film de John Huston dans lequel une équipe de soccer d’officiers nazis affronte une bande de prisonniers alliés dans un camp allemand.

Sylvester Stallone (qui incarnait un prisonnier de guerre de l’armée canadienne) gardait les buts, Bobby Moore défendait, Michael Caine officiait au milieu de terrain en compagnie d’Osvaldo Ardiles, et Pelé marquait d’une magistrale bicyclette, sa marque de commerce.

Depuis, je ne compte plus le nombre de documentaires que j’ai vus mettant en vedette Pelé : pendant toutes ses années à Santos, dans la seleçao brésilienne, avec le Cosmos de New York dans les années 1970, où il s’était exilé pour se refaire une santé financière.

Physiquement aussi, il était usé, après des années à avoir été promené comme une bête de foire sur tous les continents pour des matchs amicaux de Santos.

Dans sa carrière, Pelé a disputé 1363 matchs, dont à peine plus de la moitié, 831, étaient des matchs officiels. On ne s’étonne pas qu’il ait juré, après avoir disputé seulement quatre matchs en deux Coupes du monde, en 1962 et en 1966, blessé et traqué par ses adversaires, de prendre sa retraite internationale à 25 ans. Il s’est ravisé et a brillé de tous ses feux au Mondial de 1970 au Mexique.

On retiendra ses 1281 (ou 1283) buts (dont entre 757 et 767 dans des matchs officiels) : son fabuleux premier but en Coupe du monde face au pays de Galles en quart de finale du Mondial de 1958, le coup du sombrero menant à l’un de ses buts en finale contre la Suède, sa demi-volée après un amorti de la poitrine contre la Tchécoslovaquie à la Coupe du monde de 1970.

O Rei était évidemment bien plus que ça. Il était capable de faire basculer un match grâce à un geste génial, à la manière du Français Kylian Mbappé, peut-être le joueur contemporain qui lui ressemble le plus.

Doté d’un talent naturel incroyable, il était à la fois buteur et meneur de jeu, un joueur offensif redoutable aux qualités physiques et techniques hors du commun.

Pelé étant considéré comme un « trésor national » au Brésil, où il a surtout disputé le championnat régional de São Paulo pendant sa carrière, il n’a jamais été question qu’on le laisse quitter Santos, où il est devenu professionnel à 15 ans, pour un club européen comme le Real Madrid. Il aurait pu s’y mesurer chaque semaine aux meilleurs joueurs de son époque… après lui.

Hors du terrain, il était extrêmement charismatique. Une superstar que tout le monde s’arrachait – les politiciens et les dictateurs, les publicitaires et les commanditaires, les admiratrices… –, si bien que le sport a parfois pris le second rang. Mais dans le cœur des amateurs de soccer, il sera toujours le roi. Pelé le premier. Celui qui a ouvert la voie à tous les autres.