(Tokyo) Cette fois, la testostérone des concurrentes n’était pas en cause.

Pour l’équipe canadienne d’athlétisme, c’est la première grande déception olympique. Mais pour Melissa Bishop-Nriagu, une des plus grandes athlètes au pays, cette élimination rapide à Tokyo n’est que la suite d’une série amère.

« Ce sont mes troisièmes Jeux et je sais qu’il peut se passer toutes sortes de choses sur la piste. Il faut les courir [les séries de qualification] comme une finale, mais c’est tout ce que je pouvais faire aujourd’hui », a-t-elle dit en sortant de l’enceinte. Seules les trois premières de chaque série sont qualifiées pour les demi-finales, mais un repêchage est possible avec les six meilleurs chronos restants. Elle était quatrième. Elle ne savait pas à ce moment si son chrono (2 min 2 s, 11 s) la sauverait. Ça n’a pas été le cas. C’est donc la fin.

Auteure d’une trentième place à Londres en 2012, elle a décroché l’argent au Championnat du monde, à Pékin en 2015.

C’est donc en tant que vice-championne du monde qu’elle s’est présentée aux Jeux de Rio, en 2016.

Et si les règles sur le taux de testostérone avaient été en place en 2016, Melissa Bishop-Nriagu aurait remporté la médaille d’or.

Car les trois femmes sur le podium ont toutes été exclues des compétitions internationales trois ans plus tard pour cause d’excès de testostérone naturelle. La plus connue d’entre elles, Caster Semenya, a dû subir toutes sortes de changements de règles. On lui a d’abord infligé la prise d’hormones pour « ajuster » son taux ; il y a eu des procès, des appels, des décisions contradictoires… Et finalement, à Rio, on l’a laissée courir. Après tout, cet excès de testostérone est une caractéristique biologique, non une tricherie. Elle est « comme ça », et il y a une injustice pour elle à être exclue des compétitions parce qu’elle est différente.

Mais en 2019, renversement complet : le CIO décrète que ces femmes avec des taux dépassant un certain seuil ne pourront pas courir. Ou plutôt : elles peuvent courir, mais seulement les courses de fond : 5000 m et plus. Comment a-t-on tracé cette ligne arbitraire ? La force pure est moins en cause pour les courses de fond, et l’avantage n’est pas excessif, a-t-on fait valoir.

Caster Semenya, qui brûlait la piste au 800 m, s’est essayée au 5000 m. Elle n’a pu faire mieux qu’un 15 min 50 s (le standard est de 15 min 10 s). Elle a été exclue.

La médaillée d’argent à Rio, Francine Niyonsaba, du Burundi, a été exclue du 800 m pour la même raison. Elle a cependant réussi à se qualifier pour Tokyo avec un bon temps qui en a surpris plusieurs (14 min 54 s).

La Kényane Margaret Wambui, médaillée de bronze, est aussi exclue du 800 m pour la même raison.

Mais ces exclusions n’ont aucun effet rétroactif, puisque selon les règles de 2016, ces femmes avaient parfaitement le droit de participer à l’épreuve.

Melissa Bishop-Nriagu reste donc avec sa quatrième place, qui l’a tant fait pleurer à Rio. Elle refusait d’ailleurs d’aborder la controverse entourant Semenya.

Depuis, elle a eu un enfant, et après une année difficile, elle est revenue dans l’élite mondiale. Elle pouvait légitimement espérer enfin atteindre le podium, même s’il y a de nouvelles joueuses. Mais encore fallait-il atteindre la finale.

Elle n’aura pas même pu toucher aux demi-finales.

Madeleine Kelly et Lindsey Butterworth, les deux autres Canadiennes, visaient au moins la demi-finale, mais elles ont également été exclues dès leur première série.

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Par ailleurs, l’athlète de 800 m ayant réussi le dernier chrono de la journée avait le premier sourire du jour.

Rose Nathike Lokonyen était porte-drapeau de l’équipe de 29 athlètes réfugiés, à la cérémonie d’ouverture. Elle savait d’emblée qu’elle ne se rendrait pas plus loin que sa première série ; en tout cas, nous on le savait. Elle était avec le peloton après un tour, et si elle a cassé, elle a réalisé sa meilleure performance à vie (2 min 11 s, cinq secondes de mieux qu’à Rio).

PHOTO HANNAH MCKAY, REUTERS

Rose Nathike Lokonyen (deuxième à partir de la droite), lors de sa vague de qualifications à l’épreuve du 800 m

« Je me sens bien, au moins j’ai fini ma course et amélioré mon temps », nous a-t-elle dit, ruisselante de sueur et encore haletante cinq minutes plus tard.

Sa famille a échappé de peu à un massacre au Soudan du Sud, et s’est installée dans le camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya.

« Au primaire, je jouais au football, et dans les compétitions scolaires, les professeurs me disaient : tu peux être une bonne coureuse. »

Sans le moindre entraînement, elle a participé à une course de 10 km. Les gens du programme de réfugiés l’ont recrutée, et elle peut s’entraîner au Kenya.

« Ç’a changé ma vie. Le programme athlétique du Kenya m’a donné la chance de voyager et de voir un autre monde. Je veux montrer au monde que d’être un réfugié, c’est juste un statut, on peut faire des choses, et en particulier avec le sport, qui unit les gens. »

Message reçu, Rose. On vous voit à Paris en 2024 ?

Elle avait presque retrouvé son souffle et j’ai entendu : « Je ne sais pas. »