(Tokyo) L’un est escrimeur et ne reçoit pas un sou de sa fédération. L’autre est une vedette internationale du tennis. Mais le temps des Jeux, Marc-Antoine Blais Bélanger et Félix Auger-Aliassime sont des colocs au village olympique.

Car si les athlètes sont dans leur bulle, ils ne sont pas emballés sous vide pour autant.

« J’habite avec six autres athlètes canadiens dans un appartement du village. On a chacun sa chambre, mais on se côtoie dans les espaces communs. On regarde la télé, on joue aux cartes… »

Des gens qui se couchent de bonne heure, comme vous devinez.

« Il y a un gars de BMX, deux nageurs, des gars d’aviron et un joueur de tennis, m’a d’abord dit tout bonnement l’épéiste montréalais.

— Ah oui ? C’est qui, le joueur de tennis ?

 — Félix Auger-Aliassime. Il est super sympathique. »

PHOTO BEN STANSALL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Félix Auger-Aliassime

C’est une des beautés du concept de village olympique : pour quelques jours hors du temps et hors du monde, ces athlètes qui ne se connaissent pas sont pour ainsi dire sur le même plancher. Ils jasent entraînement. Ils regardent un match de soccer. Ils pratiquent des sports totalement différents, mais ils ont en commun un engagement total dans leur discipline qui remonte à l’enfance. Ils ont en commun des heures, des jours, des semaines, des années, des fractions de seconde, même, d’entraînement.

Sans rien connaître des règlements du sport de l’autre, ils se comprennent mieux qu’on ne les comprendra jamais.

Certains sont des stars, vivent à Monaco et sont connus sur tous les continents.

D’autres ont perdu leur « carte » de la fédération l’an dernier, comme Blais Bélanger, en pleine pandémie, faute de résultats à offrir.

L’athlète de 26 ans, qui a commencé l’escrime à 11 ans avec un autre athlète olympique, l’avocat Stephen Angers, se retrouvait sur la voie d’évitement. Issu de la filière du club du Collège Brébeuf, comme plus de 20 autres escrimeurs olympiques au fil des ans, il n’avait pas été sélectionné pour Rio. Il avait tout de même remporté le championnat universitaire américain (NCAA) pour Ohio State, en 2018, où il étudiait le génie.

Tokyo était l’aboutissement logique.

Sauf que… Pandémie… Annulation des compétitions… Coincé au Québec…

Il a décidé de payer de sa poche les 20 000 $ de cette année compliquée pour finalement se qualifier au mois de mai, dans ce tournoi international de la « dernière chance » où seul le vainqueur décrochait un ticket olympique.

Ça s’appelle tout miser.

Il faut dire que l’épéiste est un expert du risque calculé, travaillant depuis peu comme ingénieur dans une firme spécialisée dans l’analyse des risques d’incendie dans les immeubles.

« L’épée, c’est très tactique, ce n’est pas seulement athlétique. Tu dois deviner ce que l’adversaire veut faire et tu dois dissimuler ce que tu veux faire. »

Quand nous nous sommes parlé, il ne savait pas encore s’il affronterait le Chinois ou le Coréen, deux adversaires qu’il connaît déjà, et dont il étudie les vidéos. Il y a des tics de maniement des armes comme il y a des tics de langage.

« On essaie tous de ne pas être prévisibles, mais on se rend compte qu’on l’est tous à un certain degré. »

Il parle au téléphone à ses entraîneurs du club de Brébeuf, Jacques Cardyn (quatrième aux Jeux de Los Angeles en 1984) et Iulian Badea. Sur place, c’est Jean-Marie Banos, entraîneur de fleuret, qui le conseille.

Ses parents, « qui [l’]ont tellement soutenu », ne peuvent évidemment pas être là.

Mais si l’on peut dire qu’il y a une sorte d’avantage à cette compétition en pleine pandémie, c’est qu’il y aura moins de distractions. Oui, bien sûr, on voit l’ex-basketteur Yao Ming (qui accompagne l’équipe chinoise) en se promenant dans le village. Mais ce qu’on perd en distractions, on le gagne en concentration.

« Je mets mon téléphone le plus loin possible. »

Il est classé 97e au monde, mais ce soir (heure de Montréal), au Makuhari Messe, tous les chiffres sont abolis. Marc-Antoine Blais Bélanger va « oublier le monde extérieur ». Il ne pensera pas à l’ampleur de l’évènement. Ni aux années passées. Juste à cette épée qui s’avancera vers lui, et dont il lui faudra deviner les mouvements. Et à ce corps qu’il devra toucher avec la sienne, dans une fraction de clignement d’œil.

Et en rentrant à l’appartement, le gars de BMX, ou le gars d’aviron, ou le gars de tennis se retournera vers lui : « Pis ? »

Et quoi qu’il arrive, il comprendra.