Pour la première fois de sa glorieuse histoire, après plus de 7500 parties en 111 ans, le Canadien de Montréal ne comptait aucun Québécois au sein de son alignement, lundi soir.

Pas même un septième défenseur ?

Non.

Pas même un gardien substitut, pour la forme ?

Non plus. J’insiste : aucun. Comme dans zéro.

Comment ont réagi les partisans ? La plupart, avec indifférence. Il faut dire que le Canadien nous prépare psychologiquement pour ce choc depuis un bon moment. L’été dernier, le club n’a recruté aucun joueur d’ici. Son désengagement envers le talent local est plus marqué que jamais. Si bien que les Québécois — francos, anglos, allos — n’ont plus d’attente envers l’organisation. D’où leur sentiment d’apathie, qui peut se résumer en deux mots.

So what ?

Ce je-m’en-foutisme me dérange. Profondément.

Le Canadien est une entreprise d’ici, soutenue par des gens d’ici. Une grande institution montréalaise, qui se bat contre des concurrents étrangers depuis plus de 100 ans. Au cours de ce siècle, l’organisation s’est toujours fait un devoir de donner une chance au talent local de briller sur une plus grande scène. Comme le font d’ailleurs d’autres grandes institutions, comme le Cirque du Soleil, Couche-Tard, Power Corp., Hydro-Québec, Bombardier, la Caisse de dépôt, Moment Factory, nos télédiffuseurs ou nos universités.

Le Canadien poursuit cette tradition pour ses postes de direction. Pensez à Geoff Molson, Marc Bergevin, France Margaret Bélanger, Dominique Ducharme, Joël Bouchard. Une initiative louable, et bénéfique pour l’ensemble du hockey québécois. Par contre, il ne le fait plus avec les joueurs.

Le nombre de hockeyeurs québécois avec le Tricolore ne cesse de chuter. Au point où il n’y en a plus aucun en uniforme.

« Ce sont les circonstances et c’est comme ça », s’est défendu l’entraîneur-chef Dominique Ducharme. C’est vrai que s’ils étaient en santé, Phillip Danault et Jonathan Drouin seraient dans l’alignement.

Sauf que le Canadien est aussi responsable des « circonstances » dans lesquelles il se trouve. Car après Danault et Drouin, le Tricolore a peu d’options locales :

— sept autres Québécois sont dans l’organisation, et ils ont surtout joué avec le Rocket de Laval cette saison ;

— trois d’entre eux n’ont pas de contrat avec le grand club ;

— seulement deux d’entre eux ont moins de 24 ans.

Un seul a été repêché par le club.

Rafaël Harvey-Pinard.

Au dernier tour.

Quand tu ne mets pas de gaz dans le pipeline, c’est un peu normal qu’il soit à sec…

Mais bon, comme je l’ai écrit tantôt, ça ne semble pas émouvoir les partisans plus que ça. Même que mes collègues Guillaume Lefrançois et Richard Labbé ont reçu un grand nombre de critiques pour avoir soulevé l’absence de Québécois chez le Canadien. J’ai pris connaissance des messages qu’ils ont reçus. Reprenons les arguments des amateurs indifférents, un à la fois.

Argument : le Canadien doit recruter le meilleur joueur disponible

Je suis d’accord. D’ailleurs, je n’ai pas critiqué l’équipe, l’automne dernier, lorsqu’elle a préféré Kaiden Guhle à Hendrix Lapierre au premier tour. Ou Jan Mysak à Jérémie Poirier au deuxième tour.

Mais à partir du troisième tour, comme je l’ai déjà démontré dans une chronique précédente, chaque choix au repêchage est un billet de loterie.

> Lisez la chronique « Pour chaque P.K. Subban, il y a six Ben Maxwell »

Tant qu’à prendre un risque, pourquoi ne pas donner une chance à un Québécois ? Ce que le Canadien n’a fait que deux fois dans les cinq dernières années.

Vous me répondrez qu’en agissant ainsi, le Canadien n’aurait pas pu recruter Jake Evans, Cayden Primeau ou Brendan Gallagher. D’accord. Mais c’est faire abstraction qu’il y a aussi des Québécois repêchés après le deuxième tour qui brillent ailleurs.

Qui ?

Kristopher Letang, Cédric Paquette, Mathieu Joseph et Samuel Blais, tous gagnants de la Coupe Stanley. Mathieu Perreault. David Savard. Nicolas Roy. D’autres, comme Jonathan Marchessault, Yanni Gourde, Mathieu Olivier et Alex Barré-Boulet, n’ont même pas été repêchés. Frédérick Gaudreau, soumis au ballottage en janvier, vient de réussir 10 points en 19 matchs à Pittsburgh.

Argument : il est plus avantageux de recruter des universitaires américains

Techniquement, c’est vrai. Le Canadien dispose de plus de temps pour les mettre sous contrat que les joueurs de la LHJMQ. Encore faut-il que les Américains soient supérieurs.

Le Tricolore a touché le gros lot avec Max Pacioretty. Et peut-être avec Cole Caufield. Tant mieux. Mais il s’est souvent trompé aussi, ce qu’on souligne rarement. D’ailleurs, savez-vous combien de parties ont disputé les joueurs des universités américaines recrutés par le Canadien depuis 2011 ?

101.

C’est moins que Charles Hudon.

Par ailleurs, le Canadien a eu l’occasion de repêcher des Montréalais partis étudier aux États-Unis. Notamment Jérémy Davies, Alex Killorn, les frères Biega et Devon Levi, meilleur gardien du dernier Championnat du monde junior. Mais au septième tour, en octobre dernier, plutôt que de repêcher Levi, le Tricolore a échangé son choix aux Blackhawks de Chicago, qui ont sélectionné… un autre Québécois, Louis Crevier. Une vingtaine de rangs plus tard, les Panthers ont réclamé Levi.

Argument : ça prend une équipe gagnante avant une équipe québécoise

Je veux bien. Sauf que ce n’est pas comme si le Canadien dominait la Ligue nationale présentement. Ni depuis quatre ans. Pendant cette période, le Tricolore a récolté plus de défaites que de victoires. Difficile de jeter le blâme sur les joueurs québécois — il n’y en a pratiquement plus.

Argument : le problème, c’est Hockey Québec

Il y a un fond de vérité. Le hockey québécois a connu une léthargie épouvantable au début des années 2000. Depuis, le nombre de hockeyeurs d’ici dans la LNH a chuté de moitié.

Mais c’est en train de changer. Le Sommet du hockey québécois, en 2011, a mené à la création des ligues AAA et des structures intégrées. On peut aimer. Ou pas. Il reste que les premières cohortes de cette réforme sont prometteuses. Pensez à Alexis Lafrenière, Jakob Pelletier, Nicolas Beaudin, Samuel Poulin, Hendrix Lapierre, Mavrik Bourque, Zachary Bolduc, Zachary L’Heureux, Xavier Bourgault, Devon Levi. En 2019, pour la première fois depuis 30 ans, l’équipe québécoise a remporté la finale des Jeux du Canada.

Par ailleurs, je note qu’il y a des clubs qui ne se plaignent pas trop de la qualité des hockeyeurs développés au Québec. Les Penguins de Pittsburgh — premiers de leur division — misent sur quatre Québécois. Leurs trois meilleurs espoirs, Samuel Poulin, Pierre-Olivier Joseph et Nathan Légaré, sont aussi d’ici. Le Lightning de Tampa Bay, lui, a remporté la dernière Coupe Stanley avec quatre Québécois dans son alignement. Et un directeur général, Julien BriseBois, qui donne la chance à des jeunes d’ici de briller sur la plus grande scène.

Avec l’internationalisation du hockey, on ne reverra plus jamais le Canadien gagner la Coupe Stanley avec 15 Québécois. C’est compris. C’est convenu. C’est accepté. Par contre, qu’il n’y ait plus un seul joueur local dans l’alignement, c’est injustifiable.

Le problème n’est pas que circonstanciel.

Il est aussi systémique.