Depuis cinq ans, j’ai été échangé précisément 83 fois. Encore cet automne, je suis au cœur de toutes les rumeurs de transactions dans la LNH.

Qui suis-je ?

(Non, je ne suis pas Alex Galchenyuk.)

(Ni Max Domi.)

Réponse : le choix de deuxième tour. À la fois l’atout le plus surévalué et le plus sous-estimé de la ligue. Celui que les partisans sont prêts à « sacrifier » pour un marqueur de 30 buts. Ou à acquérir contre un huitième défenseur sous-productif, surpayé et opéré trois fois à la hanche dans les 18 derniers mois.

Pourquoi fascine-t-il autant ?

Parce qu’on se souvient tous des réussites. Des vols. Des coups d’éclat qui transforment un directeur général en oracle. P.K. Subban, repêché au 43e rang. Patrice Bergeron, au 45e. Shea Weber, au 49e. Nikita Kucherov, au 58e.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

On se souvient tous des vols au deuxième tour du repêchage. Comme P. K. Subban, repêché au 43e rang. Mais moins des autres joueurs qui ne parviennent pas à s’établir dans la LNH.

Alors que notre mémoire a perdu la trace de centaines d’autres choix. Des gars comme Tomas Linhart. Cory Urquhart. Danny Kristo. Sebastian Collberg. Dalton Thrower. Cinq sélections du Canadien qui n’ont jamais joué dans la LNH.

Je vous rassure, c’est un comportement tout à fait normal. Ça s’appelle l’oubli de la fréquence de base. Un phénomène archi-étudié en psychologie. Notamment par Daniel Kahneman et Amos Tversky, lauréats du prix Nobel d’économie en 2002.

C’est quoi, exactement ?

« C’est lorsqu’une montagne de preuves démontre une chose, mais que vous l’ignorez et préférez le cas précis devant vous », explique le journaliste sportif Keith Law, dans son essai The Inside Game.

« Vous favorisez la donnée qui saute à vos yeux. Parce qu’elle est plus récente. Plus mémorable. Ou simplement parce que c’est la première que vous avez trouvée, et que vous avez oublié de vérifier l’échantillon plus large, sur une longue période de temps. »

Dans son livre, il donne l’exemple des recruteurs du baseball majeur. Ceux-ci continuent de repêcher des lanceurs des écoles secondaires au premier tour, même si le taux de réussite est faible (16 %).

Pourquoi s’entêtent-ils ?

Parce qu’ils espèrent trouver le prochain Clayton Kershaw, l’as des Dodgers repêché à sa sortie de l’école. Un joueur étoile qui change le visage d’une franchise. Or, comme le souligne Keith Law, « pour chaque Clayton Kershaw, il y a 10 Kasey Kikers » qui n’ont jamais atteint les ligues majeures.

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C’est un peu le même phénomène au hockey.

Tout le monde rêve de repêcher un autre P.K. Subban au deuxième tour. C’est pourquoi des équipes comme le Canadien accumulent les choix. La logique : plus un DG possède de choix, meilleures sont ses chances de recruter une future vedette.

Maintenant, quelles sont les probabilités de repêcher le prochain P.K. Subban ?

Pas très élevées.

J’ai compilé les statistiques de tous les hockeyeurs choisis au deuxième tour entre 2000 et 2013*. Leurs matchs. Leurs points. Leurs minutes jouées, aussi, car c’est un excellent indicateur de la qualité d’un joueur et de la confiance qu’il inspire à ses entraîneurs. L’échantillon est constitué de 442 joueurs.

Les résultats ?

• 11 % sont des joueurs d’impact. C’est-à-dire plus de 200 points (53 joueurs) ou plus de 10 000 minutes (47 joueurs). Exemples : Subban, Weber, Bergeron, Tomas Tatar.

• 28 % sont des joueurs de soutien. Entre 1000 et 10 000 minutes, et moins de 200 points. Exemples : Maxim Lapierre, Jacob De La Rose, Xavier Ouellet.

• 61 % ont disputé moins de 1000 minutes. Comme Ben Maxwell. En fait, plus du tiers des joueurs repêchés au deuxième tour – 150 sur 442 – n’ont jamais évolué dans la LNH.

En résumé : il y a six fois plus de réservistes et gars des ligues mineures repêchés au deuxième tour que de joueurs d’impact. Et le rang de sélection n’a aucun impact sur les chances de réussite.

Je vais vous ramener un peu en arrière. À vos cours de mathématiques de deuxième secondaire. Vous souvenez-vous de la médiane ? C’est la valeur qui permet de couper un ensemble entre deux parties égales. Concrètement, sur les 442 joueurs, quelle est la force du 221? À peu près celle de Laurent Dauphin, un attaquant du Rocket de Laval qui a fait la navette toute sa carrière entre la Ligue nationale et la Ligue américaine.

Le joueur moyen, lui, est un peu meilleur. Car une poignée de gars hyperperformants, comme P.K. Subban, tirent le groupe vers le haut. Il a joué environ 3000 minutes et inscrit 73 points. Ça ressemble aux statistiques de Tyler Pitlick (3091 minutes, 73 points), un attaquant des Flyers qu’on a vu contre le Canadien en séries le mois dernier. Pas tout à fait un gars dont on s’arrache la carte recrue.

Alors la prochaine fois qu’une rumeur liera un marqueur de 30 buts au deuxième choix du Canadien, prenez une grande respiration. Avec ou sans masque. Et souvenez-vous que pour chaque P.K. Subban, il y a six Ben Maxwell.

* Pourquoi arrêter en 2013 ? Pour laisser aux joueurs une période de temps suffisante pour s’établir dans la LNH. Sept saisons, c’est le minimum pour pouvoir atteindre l’autonomie complète.