(Indianapolis) Mercredi matin, il fait un froid de canard à Indianapolis.

Jennifer Mathurin nous donne rendez-vous à l’entrée d’un quartier paisible situé à une vingtaine de minutes au sud du centre-ville. C’est là qu’elle habite, depuis la fin d’août. Dans quelques heures, mercredi soir, elle assistera au premier match de son frère Bennedict dans la NBA.

Alors qu’on s’apprête à pénétrer dans l’immeuble d’accueil à l’entrée du quartier, la carte magnétique de Jennifer refuse de fonctionner. On convient donc d’aller plutôt prendre un café au Starbucks le plus près. En route, la femme de 29 ans nous explique qu’elle a déménagé à Indianapolis afin d’aider son frère à s’adapter à sa nouvelle vie.

Une fois installée bien au chaud, café à la main, elle prend le temps de nous raconter en détail cette grande « décision familiale ». « On l’a prise avant le repêchage. On s’était dit : peu importe où il ira, j’irai avec lui. »

Quand la formation de l’Indiana a fait du Montréalais son choix au sixième rang, Mathurin a fait ses valises. Il a passé l’été là-bas, à s’entraîner. Sa sœur, qui était entraîneuse chez les Gaiters de l’Université Bishop’s depuis un an, a quitté son emploi et l’a rejoint à la fin d’août. Leur mère, elle, est restée au Québec.

« C’est tellement une grosse étape pour mon frère. Je veux juste que tout se passe bien. C’est un sacrifice, mais en même temps, j’ai toujours été la grande sœur », rappelle-t-elle doucement.

Si on a parfois tendance à l’oublier, Mathurin n’a que 20 ans. Jennifer fait donc office d'agente ; elle l’aide avec ses tâches ménagères, coordonne ses rendez-vous et gère tout le côté affaires qui entoure le basketball. C’est son nouvel emploi. Pour combien de temps ? Elle l’ignore, mais ça durera au moins jusqu’à ce que son frère atteigne « une maturité quelconque ».

Il y a des gens qui pensent qu’il fait juste jouer au basketball, mais c’est plus que ça. Tu as deux entraînements par jour, ils font plein d’apparitions publiques, dans des écoles ou des parcs. C’est vraiment beaucoup. [...] On se parle ou on se voit tous les jours. Il se sent bien ici.

Jennifer Mathurin, à propos de son frère Bennedict

Quand Jennifer est avec son frère, elle essaie de lui parler d’autre chose que de basketball. « Je fais des desserts et il aime vraiment cuisiner, alors on parle de ça. Ça lui change souvent les idées, et ça fait du bien. C’est dur, parce que les deux, on est des basketball heads ! », s’exclame-t-elle en riant.

À première vue, Indianapolis est une ville un peu moins animée que Montréal. Jennifer nous explique qu’il s’agit d’une ville étudiante et familiale. « Ça bouge » donc surtout du jeudi au dimanche.

« C’est quand même tranquille, ce qui est très bien parce qu’il n’y a pas trop de distractions. Mon frère va s’entraîner. S’il veut sortir manger, il y a de bons spots. »

« Il n’a pas 21 ans, donc il ne peut pas sortir [dans les bars] pour l’instant, mais quand il va vouloir sortir, il va pouvoir le faire », lance-t-elle en ajoutant que, de toute façon, son frangin n’est pas trop du genre à faire la fête jusqu’au petit matin.

De la fierté

Le basketball est depuis toujours au cœur de la famille Mathurin. Jennifer, Bennedict et leur frère Dominique, happé mortellement par une voiture alors qu’il roulait à bicyclette en 2014, ont tous pratiqué le sport. Jennifer a notamment joué pour l’Université d’État de la Caroline du Nord, puis en Europe.

Bennedict a souvent parlé du rôle important qu’a joué sa sœur dans son parcours. La fratrie a toujours été très proche. Les beaux moments des dernières semaines ramènent d’ailleurs plusieurs souvenirs d’enfance à la mémoire de Jennifer.

« Je me rappelle qu’on faisait souvent des dance battles à la maison. On avait un film qui s’appelle Stomp the Yard, qu’on écoutait presque tous les jours. Lui était dans une équipe, et moi dans l’autre. On connaissait les chorégraphies.

« Un des premiers évènements qu’il y a eu ici [à Indianapolis], c’était le FanJam. Il devait faire du karaoké et danser. C’était une compétition entre recrues. Je me suis dit : c’est tellement injuste parce que c’est clair qu’il va gagner. On a grandi en faisant ça ! Et il a gagné la compétition ! »

Toujours aussi proches à ce jour, Jennifer et Bennedict ont partagé plusieurs grandes expériences au cours des derniers mois. L’aînée a notamment assisté aux matchs préparatoires, dont celui à domicile face aux Knicks de New York.

PHOTO MICHAEL CONROY, ASSOCIATED PRESS

Bennedict Mathurin (00) en action contre les Wizards de Washington, mercredi soir

« Il y avait Derrick Rose sur le terrain et je capotais. J’étais comme : oh my God, c’est Derrick Rose ! Puis, je me suis rappelé : OK, non, mon frère va être ici ce soir », raconte-t-elle en poussant un rire. Elle avoue d’ailleurs avoir laissé couler quelques larmes lors des premiers matchs. « Il rentrait sur le terrain, tout le monde était super content, et moi j’essuyais mes larmes parce que j’étais super fière.

« Le fait qu’il est là et qu’il performe, qu’il se sente bien, qu’il soit dans un bon environnement... Il fleurit. C’est juste malade. »

Recrue de l’année ?

Bennedict Mathurin a été sensationnel dans les matchs préparatoires, enregistrant 19,8 points par match, un sommet chez les Pacers. Si beaucoup ont été surpris de le voir s’adapter aussi rapidement, Jennifer n’en fait pas partie.

« Je sais que je suis peut-être biaisée, mais je pense que c’est un des meilleurs joueurs de l’équipe ! », laisse-t-elle tomber, convaincue qu’« il va être recrue de l’année ».

Quoi qu’il arrive, Bennedict ne se laissera pas atteindre par la popularité, assure-t-elle.

Il est assez humble. Et il est assez discret. Il ne laisse pas tout ça lui monter à la tête. Il sait qu’il est bon, mais il sait aussi qu’il y a des choses qu’il doit travailler et améliorer.

Jennifer Mathurin, à propos de son frère Bennedict

Quant à elle, Jennifer sera toujours derrière lui. Comme elle savait qu’elle allait l’être en soirée, au moment où son frère irait fouler le terrain du Gainbridge Fieldhouse pour son premier match. Et que tous deux auraient en pensées leur défunt frère.

« [Dominique] est notre plus grande motivation. Surtout pour Bennedict. Tu as un avantage d’être encore en vie et d’être capable de vivre des expériences... Tout ce qu’on fait, il aurait voulu le faire.

— Il est encore un peu là, si on veut.

— Pas un peu. Beaucoup. Il est vraiment là, tout le temps. »