Un de mes petits bonheurs en voyage, c’est d’assister à un match des ligues mineures de baseball. C’est comme ouvrir un paquet de cartes de hockey : on ne sait jamais sur quoi on va tomber.

Des feux d’artifice. Des frappeurs déguisés en Chewbacca. Des défilés de chiens. Si vous arrivez parmi les premiers spectateurs, vous aurez peut-être même la chance de repartir avec un nain de jardin à l’effigie du monstre marin local.

Presque toutes les villes de plus de 100 000 personnes aux États-Unis possèdent un club. C’est le rêve américain au coin de la rue. L’occasion aussi de côtoyer les futures vedettes de près. De très, très près. Il y a quelques années, au stade de Tacoma, mes enfants attendaient dans la file du casse-croûte derrière le marbre. Le match était sur le point de commencer. Un jeune homme pressé les a dépassés. C’était un joueur. Il venait chercher son dîner.

Des hot-dogs.

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Au Québec, nous avons deux équipes indépendantes. Les Capitales de Québec et les Aigles de Trois-Rivières. Mais pas de filiale des ligues majeures. Le club-école le plus proche se trouve à deux heures au sud de Montréal, à Burlington, au Vermont. L’équipe locale, les Lake Monsters, évolue au Centennial Field. Le stade porte bien son nom. Il a été construit en 1906. Avant le Wrigley Field et le Fenway Park.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DES LAKE MONSTERS DU VERMONT

La mascotte des Lake Monsters du Vermont, Champ, après une défaite en 2019. Les Lake Monsters font partie des 42 clubs sans affiliation avec le baseball majeur en vue de la prochaine saison.

Au fil des ans, des dizaines de joueurs des ligues majeures y ont été formés. Notamment Orlando Cabrera et Michael Barrett, des Expos. Or, cet été, tout indique qu’il n’y aura pas de futures étoiles à Burlington.

Ni à Jackson, au Tennessee.

Ni à Lexington, au Kentucky.

Ni dans 39 autres villes des États-Unis.

Pourquoi ?

Ça n’a rien à voir avec la pandémie. C’est plutôt que le baseball majeur a fait ses comptes. Et il a réalisé que 162 clubs-écoles, c’était… trop. Trop de joueurs. Trop d’entraîneurs. Trop de frais d’hôtel. Trop de locations d’autocars. Trop de billets d’avion. Trop de tout. Alors il a coupé. De façon draconienne. Unilatéralement. Une équipe affiliée sur quatre doit disparaître l’été prochain.

D’un point de vue purement sportif, c’est justifié. Les organisations n’ont pas besoin de 175 joueurs. Ni même de 150 ; 125, c’est nettement suffisant. D’autant que les équipes peuvent toujours aller piger dans les clubs indépendants, comme les Capitales et les Aigles.

Politiquement, toutefois, cette décision est un désastre. D’abord, elle déracine le baseball de plein de communautés. Mais surtout, elle suscite la colère des élus et des contribuables. Car plusieurs villes dépouillées de leur club ont dépensé des sommes colossales pour aider la franchise locale.

Le journaliste Neil deMause, auteur du blogue Field of Schemes, a calculé tout l’argent public investi par les gouvernements pour construire ou rénover les stades des clubs-écoles visés par la purge.

Le total ? 249 millions US.

Un quart de milliard.

Et ça, c’est un minimum. Ça tient compte seulement des équipes qui, en décembre, n’avaient pas encore réussi à se recaser dans une ligue indépendante. C’est vrai, plusieurs de ces investissements remontent à la fin des années 1990. Les villes ont donc profité de la présence d’une équipe pendant une vingtaine de saisons.

Sauf qu’il y a aussi des dépenses beaucoup plus récentes. Par exemple, une dizaine de millions depuis 12 ans pour rénover un stade en Illinois. Ou 77 millions pour deux stades en Floride. Ces édifices devaient servir pour le camp d’entraînement des Braves d’Atlanta et des Rays de Tampa Bay, l’hiver, puis à des clubs-écoles, au printemps et en été. Ces filiales n’existent plus.

C’est comme si, dans cinq ans, le nouvel aréna de 60 millions qui hébergera le club affilié au Canadien, à Trois-Rivières, ne servait plus qu’au camp d’entraînement du Tricolore. Je pense que ça passerait mal…

Évidemment, les politiciens sont outrés. Ils promettent de se battre pour sauver leur équipe locale. Le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, fait partie des protestataires. « C’est de la cupidité pure et simple [de la part du baseball majeur], a-t-il déploré. La disparition d’équipes des ligues mineures, comme les Lake Monsters du Vermont, c’est un désastre pour les amateurs de baseball, les travailleurs et les communautés partout au pays. Je ferai tout mon possible pour [la] combattre. »

Plus d’une centaine d’élus du Congrès – républicains et démocrates – ont également écrit une lettre au commissaire du baseball, Rob Manfred, en novembre 2019. Ils ont exprimé leur « ferme opposition » au projet du baseball majeur. Un message qui, visiblement, n’a pas ébranlé M. Manfred.

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De ce triste épisode, je retiens une leçon.

Les gouvernements doivent cesser de plier les genoux face aux ligues et aux propriétaires d’équipes. Ils doivent plutôt les forcer à assumer la majorité – voire la totalité – des coûts de construction ou de rénovation des stades.

Est-ce que ce sera suffisant pour empêcher un déménagement de franchise ? Une dissolution ?

Bien sûr que non. Mais ça compliquera la décision. Car c’est beaucoup plus difficile de renoncer à ses investissements qu’à ceux des autres.

Et quand le propriétaire menace de mettre la clé sous la porte si l’État ne crache pas les millions, on fait quoi ?

On lui rappellera que 250 millions d’argent public n’ont pas empêché le baseball majeur d’éliminer 42 franchises…