Toute la journée de mardi, j’ai pensé que l’histoire prendrait fin dans la plus pure tradition des Expos, c’est-à-dire sur une immense déception. Des analyses pointues indiquaient que Larry Walker raterait son élection au Temple de la renommée du baseball par une poignée de votes.

En après-midi, quand Walker a lui-même écrit sur Twitter qu’il arriverait sans doute à court, l’affaire a semblé entendue. Au-delà de la déception, devions-nous vraiment nous étonner qu’un ancien Expo, à l’image de l’organisation, rate son objectif de peu ? Après tout, « passer près » sont deux mots qui caractérisent l’histoire de nos Z’Amours.

Les Expos sont « passés près » d’une participation à la Série mondiale en 1981, « passés près » de compléter une saison de rêve en 1994, « passés près » d’obtenir un nouveau stade au centre-ville à la fin des années 90 et qui sait, peut-être « passés près » d’éviter Jeffrey Loria si les actionnaires québécois s’étaient montrés plus audacieux pour sauver l’équipe avant qu’elle sombre dans l’obsolescence.

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Larry Walker en 1992 avec les Expos

Alors oui, c’était peut-être le destin de Walker de « passer près », d’éprouver le même sentiment que les partisans des Expos ont trop souvent ressenti, celui de frapper un mur au pire moment. Dans nos annales sportives, il n’existe pas d’organisation aussi malchanceuse.

Mais cette fois, le vent a viré du bon bord. De son propre aveu, Walker était à 90 secondes d’abandonner tout espoir d’être admis au Temple de la renommée quand son téléphone a sonné en fin d’après-midi. Comme il l’a plus tard expliqué en conférence téléphonique, il a vu le numéro et s’est dit : « Oh shit ! » Cette annonce, a-t-il ajouté, est un « moment surréaliste ».

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Durant ses années à Montréal, de 1989 à 1994, Walker a été respecté et admiré. Mais en raison de sa personnalité réservée, il n’a pas joui de l’affection portée à d’autres légendes des Expos, comme Gary Carter, Tim Raines, Andre Dawson, Pedro Martinez, Vladimir Guerrero et Felipe Alou. Il était toutefois un joueur extraordinaire.

Son bras canon, ses réflexes défensifs, sa puissance au bâton et son énergie au jeu en ont fait un héros de son sport. Pas mal pour un gars de Maple Ridge, en Colombie-Britannique, qui rêvait d’une carrière au hockey. Mais à l’adolescence, il en a eu assez de ce sport et s’est dirigé vers le baseball.

Quand un collègue lui a demandé comment sa vie se serait déroulée s’il avait persévéré dans le hockey, Walker a répondu : « J’aurais moins de dents aujourd’hui… Et j’aurais probablement travaillé à Maple Ridge toute ma vie. Et on ne serait pas en train de se parler ce soir. »

Walker n’a jamais été un homme de grands discours. Avant de répondre aux questions des journalistes en cette journée si mémorable pour lui, il a été invité à prononcer un mot d’ouverture… qui n’a pas franchi les 40 secondes. On le sentait émotif, mais en plein contrôle de lui-même. Son ton m’a rappelé une anecdote survenue au camp d’entraînement des Expos en 1994. Il venait de signer un contrat d’une saison avec l’équipe pour 4 millions US, une somme énorme. Obtenir un contrat pareil, c’était comme gagner le gros lot. Avait-il conservé le stylo en souvenir ? Sa réponse était tombée d’un seul trait : « Non, pourquoi ? »

Heureux de cette entente, Walker aurait toutefois préféré signer un contrat de 5 ans pour 25 millions US avec les Expos. Oui, il voulait s’engager à long terme à Montréal, qu’il visitait parfois en hiver.

Au-delà de son image de gars distant, il appréciait porter l’uniforme des Expos. Ce qui ne l’empêchait pas de juger sévèrement des gestes de la direction. Comme les amateurs, il espérait que l’organisation investisse dans la formation au lieu de faire du contrôle des dépenses sa priorité.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Larry Walker au Stade olympique le 25 mars dernier

Le 4 août 1994, Walker a disputé son dernier match au Stade olympique dans l’uniforme des Z’Amours. Près de 40 000 personnes étaient au rendez-vous. L’équipe a encaissé le revers, mais le numéro 33 a fait des adieux retentissants avec deux circuits et trois points produits. Après le match, il a évoqué la menace imminente d’un conflit de travail : « Je n’ai pas le goût de tomber en grève, on brasse le derrière de toutes les équipes ces jours-ci. »

Puis, questionné sur son avenir, Walker a pointé en direction du directeur général Kevin Malone : « Le gars à qui il faut demander si je serai de retour l’an prochain, c’est lui. Si les Expos m’offrent un contrat correspondant à ma valeur, je le signerai. Je ne veux pas quitter Montréal. »

Une semaine plus tard, au retour en ville des Expos après un séjour à l’étranger, la grève a éclaté. La saison n’a jamais repris. C’est le plus douloureux épisode dans l’histoire de l’équipe, alors en tête de sa division. Au printemps suivant, devenu joueur autonome, Walker s’est joint aux Rockies du Colorado. Et la lente agonie des Expos a commencé.

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À sa dernière année d’admissibilité, Walker fait son entrée à Cooperstown par une marge minuscule : 298 votes étaient nécessaires pour être admis, il en a reçu à peine six de plus. Rien à voir avec l’autre membre de cette cuvée 2020, l’ancien Yankee Derek Jeter, élu à la quasi-unanimité.

Walker mérite pleinement cette élection. Oui, il a évolué plusieurs saisons au Colorado, où l’altitude favorise les frappeurs. Mais il fallait tout de même la frapper, cette satanée balle ! Et il l’a fait avec succès.

« Quand j’ai commencé à jouer au baseball, j’avais tout à apprendre, a-t-il dit. Et puis un jour, dans les mineures, on m’a transformé en voltigeur. On m’a expliqué que mon bras était trop puissant pour l’avant-champ. Au champ droit, j’ai eu moins de stress. Je n’avais pas à me soucier des gars qui frappent des coups de canon vers toi. »

Walker passera à l’histoire d’abord comme membre des Rockies du Colorado. Mais au milieu des années 90, si un véritable partage des revenus avait existé dans le baseball majeur, il aurait sans doute joué l’essentiel de sa carrière à Montréal. Une autre occasion ratée dans la trop souvent pénible histoire des Expos.

Mais on ne refera pas le passé. Et si le destin de Walker a longtemps été lié à celui des Expos, il n’avait pas à y ressembler jusqu’au bout. Au lieu de simplement « passer près », Walker a réussi. Il devient le deuxième Canadien après le lanceur Ferguson Jenkins à entrer au Temple de la renommée. C’est un immense exploit et il mérite mille bravos.

LARRY WALKER EN CHIFFRES

En carrière

1988 matchs
,313 moyenne offensive
383 circuits 1311 points produits
230 buts volés

Avec les Expos

674 matchs
,281 moyenne offensive
99 circuits 384 points produits
98 buts volés