Dans la foulée de la sortie en salle du film Moneyball, La Presse jette un regard sur l'approche révolutionnaire adoptée par les Athletics d'Oakland dans les années 90 pour rivaliser, souvent avantageusement, avec les riches organisations du baseball majeur.

Quand il s'est installé dans la chaise du directeur général des Athletics d'Oakland en 1998, après quatre années passées comme assistant, Billy Beane connaissait exactement son mandat: gagner des matchs avec un budget dérisoire, du moins selon les normes démesurées du baseball majeur.

Trois ans auparavant, les nouveaux propriétaires des A's avaient déjà exigé du directeur général et mentor de Beane, Sandy Alderson, des coupes draconiennes dans les dépenses de l'organisation (en 1991, les Athletics affichaient la masse salariale la plus élevée du baseball majeur, mais visiblement, les temps avaient changé...).

Dès 1995, donc, Alderson s'est tourné vers une approche statistique infiniment plus approfondie pour tenter de déceler les failles du système et, du même coup, pour assembler une équipe compétitive malgré de sévères contraintes budgétaires. Un défi colossal.

>>>>Lisez la critique du film Moneyball par Marc-André Lussier.

Son constat: il valait mieux évaluer les joueurs et analyser les différentes stratégies au moyen d'une démarche scientifique plutôt qu'avec le «savoir collectif» des hommes de baseball, chez qui l'oeil seul, selon le réputé statisticien Bill James, ne pouvait servir d'outil adéquat pour décortiquer correctement les véritables forces et faiblesses d'un baseballeur.

Déjà en 1995, Alderson avait instauré une nouvelle culture d'entreprise qui reposait principalement sur une statistique: la moyenne de présence sur les buts. Sur le plan organisationnel, il privilégiait une structure où le DG aurait droit de parole même sur les décisions qui revenaient habituellement au gérant: «Dans quelle entreprise accorde-t-on les plus grands pouvoirs aux cadres intermédiaires [comme les gérants]?», disait-il.

C'est dans cette perspective - et sans la moindre marge de manoeuvre financière supplémentaire - que Beane allait poursuivre le débroussaillage entrepris par son prédécesseur et pousser l'audacieuse démarche encore plus loin. Avait-il seulement le choix?

Faute de moyens, les Athletics allaient devoir dénicher des «aubaines»: des jeunes joueurs mal évalués ou carrément ignorés par les autres organisations, ou des vétérans qui possédaient encore certaines qualités essentielles aux succès d'une équipe, disponibles pour une fraction du prix.

Pour Beane et ses subalternes, dont son fidèle bras droit Paul DePodesta, il fallait penser le baseball différemment, remettre en question les idées conçues, bousculer les conventions, ce qui signifiait notamment de balayer d'un revers de main la façon traditionnelle de recruter des joueurs. Exit les critères hautement subjectifs des dépisteurs. Place aux statistiques.

Parmi les trouvailles de l'état-major des Athletics, on pouvait noter que les habiletés offensives d'un joueur ont un impact plus grand sur les performances d'une équipe que ses qualités défensives; que deux statistiques, la moyenne de présence sur les sentiers et la moyenne de puissance sont intimement liées aux réussites (ou échecs) d'une équipe; et que les bons lanceurs obtiennent des retraits, mais la façon d'y parvenir importe peu.

Beane et DePodesta ont remarqué que les équipes du baseball majeur payaient beaucoup trop cher pour obtenir la vitesse, les qualités défensives ou la puissance d'un joueur. À l'opposé, la moyenne de présence sur les buts et la capacité pour un frappeur de maîtriser la zone des prises représentaient des atouts indéniables, mais grossièrement négligés... donc abordables.

C'est en 2002 que les Athletics ont, pour la première fois, appliqué les principes «sabermétriques» (1) au repêchage. Recherchés: des lanceurs de niveau universitaire, plus aguerris, et des frappeurs disciplinés (comme Nick Swisher).

À Oakland, le but sur balles est devenu une arme discrète, un résultat fortement encouragé. D'ailleurs, aucun joueur dans l'organisation des Athletics ne pouvait espérer gravir les échelons sans avoir soutiré au moins un but sur balles par 10 apparitions au marbre...

Quel héritage?

Entre 2000 et 2006, les Athletics, toujours les parents pauvres du baseball, ont accédé aux séries éliminatoires en cinq occasions. Deux fois (2001 et 2002), l'équipe s'est offert plus de 100 victoires en saison régulière, une «aberration», selon le commissaire Bud Selig.

Les A's ont éliminé les Twins du Minnesota lors des séries de division en 2006, avant de s'incliner devant les Tigers de Detroit en série de championnat de la Ligue américaine. Les gars en vert et jaune n'ont toutefois jamais gagné la Série mondiale sous la direction de Beane.

Que reste-t-il donc de cette tendance révolutionnaire lancée par Sandy Alderson, Billy Beane et les Athletics d'Oakland dans les années 90? Il serait inimaginable, en 2011, qu'une organisation du baseball majeur passe outre les données «sabermétriques» dans leurs diverses analyses.

Les Red Sox de Boston (Theo Epstein), les Rangers du Texas (Jon Daniels), les Blue Jays de Toronto (Alex Anthopoulos) et les Indians de Cleveland (Chris Antonetti), par exemple, sont dirigés par de jeunes universitaires qui n'ont jamais évolué au niveau professionnel.

Alderson, Beane et les gens des Athletics ont défini la façon de déterminer la valeur d'un joueur. Et ils ont surtout prouvé que la somme d'argent disponible pour diriger une organisation du baseball majeur importe moins que la manière dont on utilise les fonds en question.

Oui, les dépisteurs sillonnent toujours l'Amérique du Nord pour découvrir la perle rare, avec les mêmes préjugés tenaces. Mais ils sont maintenant contre-interrogés par des «intellectuels» qui valident - ou non! - leurs présomptions en regardant des chiffres dans un ordinateur portable...

(1) Traduction libre de sabermetrics, qui fait référence aux statistiques compilées par les membres de la Society for American Baseball Research.