En attendant de monter sur le podium aux Jeux du Commonwealth de Gold Coast, il y a deux semaines, la plongeuse australienne Anabelle Smith a repris ces paroles du rappeur canadien Drake: «Started from the bottom now we're here.»

Jennifer Abel ne pouvait être plus d'accord. Trois jours plus tôt, elle menait l'épreuve du 3 m synchronisé avec Mélissa Citrini-Beaulieu quand elle a complètement raté son quatrième plongeon. L'erreur a fait dégringoler les Canadiennes au cinquième rang et permis à Smith et sa jeune partenaire Maddison Keeney de prendre la tête. À la ronde ultime, cette dernière s'est perdue à son tour dans les airs, s'écrasant dans l'eau devant son public médusé.

Les trois plongeuses se sont reprises à l'épreuve individuelle, Abel l'emportant par quatre dixièmes de point devant Keeney, et Smith a gagné le bronze. Comme Drake le chante, elles étaient presque littéralement «parties du fond» pour rebondir au sommet.

«Elle a lancé ça et j'ai trouvé ça vraiment drôle parce que c'était vrai», a observé Abel après son entraînement matinal, hier.

Bien que déçue de son «erreur technique» en synchro, la Lavalloise de 26 ans était «allée aux Jeux du Commonwealth pour avoir la médaille d'or au tremplin individuel, la seule qui [lui] manquait» en trois participations (sept podiums au total).

«Je suis exactement là où je veux être, ça va super bien, a-t-elle indiqué. Je suis contente. J'ai travaillé pour ne pas quitter l'Australie sans cette médaille d'or.»

Fraîchement couronnée, Abel reprend la compétition dès demain à la troisième étape des Séries mondiales, circuit le plus relevé de la FINA, qui s'arrête jusqu'à dimanche au bassin du Parc olympique de Montréal.

«C'est sûr qu'on voulait être au sommet de notre forme aux Jeux du Commonwealth, mais je ne prends jamais part à une compétition sans vouloir faire de mon mieux. [...] Le top 8 mondial est ici. Personne ne va donner sa place. Ça va être une bonne bataille.»

Triple médaillée de bronze à la première étape de Pékin (individuel, synchro et synchro mixte), Abel a enlevé le bronze en synchro avec Citrini-Beaulieu la semaine suivante au Japon.

Affûtée au couteau, elle affirmait avant son départ pour l'Australie ne s'être «jamais aussi bien sentie physiquement et mentalement». «Je n'ai jamais commencé la saison en force comme ça, avec d'aussi bons pointages.»

Le contraste est frappant avec la même période l'an dernier. La triple olympienne se demandait alors ce qu'elle faisait au bout du tremplin pendant une compétition en Allemagne. «C'est comme si j'avais oublié de compétitionner. Mon corps ne voulait pas, ma tête ne voulait pas non plus. Elle ne voulait vraiment rien savoir.»

Ses deux quatrièmes places de l'été précédent aux Jeux olympiques de Rio l'avaient affectée plus qu'elle ne voulait le croire.

«Je me suis tellement laissé influencer par les attentes des gens: "Ah, Jennifer est souvent médaillée, elle devrait être encore médaillée..." C'est vrai, mais entre la troisième, la quatrième et la cinquième place, il n'y a pas une grande différence. J'ai tellement bien plongé aux Jeux. En règle générale, j'aurais été sur le podium en plongeant comme ça. Mais c'était la journée de Tania Cagnotto. Tant mieux pour elle. Elle pouvait finir sa carrière sur une bonne note. Ça n'enlève pas ce que j'ai donné. Malheureusement, c'est ce que j'ai perdu de vue.»

«J'ai tourné la page des Jeux»

Ironiquement, Cagnotto a elle-même aidé Abel à mettre les choses en perspective l'an dernier. Deux fois quatrième aux Jeux de Londres en 2012, dont en synchro derrière Émilie Heymans et... Abel, l'Italienne a rebondi avec deux médailles de bronze à Rio. En marge d'un stage à Bolzano, la Québécoise a pu discuter de cette expérience avec celle qui était déjà une amie.

«Je n'étais pas toute seule, a compris Abel. Elle aussi se sentait comme ça. Ça me faisait juste du bien de parler avec elle et de recevoir les conseils de quelqu'un qui sait de quoi je parle. »

Aux Mondiaux de Budapest, peu après, Abel a brillé avec trois médailles, portant son total à huit, un sommet dans l'histoire du plongeon canadien, à égalité avec Alexandre Despatie.

Sa nouvelle association avec Citrini-Beaulieu, après un cycle olympique avec Pamela Ware, lui a valu l'argent en synchro et même plus.

«J'ai vraiment tourné la page des Jeux, a noté Abel. Je n'aurais pas pu y arriver sans ma nouvelle partenaire Mélissa. Avec mon entraîneur [Arturo Miranda], on parlait beaucoup de comment je me sentais fatiguée, épuisée, que ça ne me tentait plus. Mais elle avait tellement la joie de vivre. Elle voulait tellement être là. Ça m'a juste ramenée à pourquoi j'ai eu autant de succès quand j'étais jeune. Je faisais vraiment juste ça pour m'amuser.»

À méditer entre deux accords de Drake.

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En lice en synchro

Abel et Citrini-Beaulieu seront bel et bien en lice au tremplin synchronisé, vendredi soir. La semaine dernière, en entrevue avec La Presse canadienne, l'entraîneur national Aaron Dziver avait remis en cause la participation des vice-championnes mondiales, citant une déchirure aux muscles abdominaux qu'aurait subie Citrini-Beaulieu aux Jeux du Commonwealth. «Il n'a jamais été question qu'on ne plonge pas en synchro, a assuré Abel. Je ne sais pas pourquoi c'est sorti comme ça. Je n'étais pas au courant, Mélissa non plus.» Et cette blessure? «Tout va bien, on a plongé [mardi] et on plonge ensemble cet après-midi [hier].»

Photo François-Xavier Marit, Agence France-Presse

Jennifer Abel et Mélissa Citrini-Beaulieu aux Jeux du Commonwealth