Les blessés de la moelle épinière étaient laissés pour morts dans les hôpitaux anglais de la Seconde Guerre mondiale. Sauf à l'unité d'un neurologue bourru qui imposait l'entraînement sportif à ses patients. Portrait de la petite révolution des paralympiques.

Margaret Maughan, première médaillée d'or paralympique pour la Grande-Bretagne, se souvient bien de sa première rencontre avec Ludwig «Poppa» Guttmann malgré ses 84 ans. C'était en 1959, à l'hôpital de Stoke Mandeville, une ville de 6000 âmes à l'est de Londres. Tout juste admise à la suite d'un accident de voiture, elle pleurait lorsqu'un petit homme s'est approché de son lit.

«Il m'a ordonné de sécher mes larmes et de penser à tout ce que je pouvais faire», dit la paraplégique, sourire aux lèvres.

Aussitôt dit, le directeur du centre de rétablissement lui prescrit une routine éreintante: piscine et ébénisterie le matin, physiothérapie et tir à l'arc l'après-midi.

Peu à peu, Margaret retrouve la force et la coordination dans le haut de son corps. Quinze ans plus tôt, elle n'aurait pas survécu trois mois.

L'arrivée de Ludwig Guttmann à Stoke Mandeville en 1943 avait multiplié par 10 l'espérance de vie des paralysés. Du jour au lendemain, les plaies de lit et les infections urinaires cessèrent d'être mortelles.

Son secret? Le sport.

Le réfugié de l'Allemagne nazie a d'abord inventé le polo en chaise roulante pour ses patients. Puis, vint le tir à l'arc.

En 1948, il organise une compétition pour coïncider avec les Jeux d'été de Londres. Quatre ans plus tard, une équipe néerlandaise se joint au «Grand Festival du Sport Paraplégique». Les Jeux paralympiques étaient nés.

Filiation

Ludwig Guttmann vient d'obtenir la place qui lui revenait dans la généalogie de la famille olympique.

À partir de cet été, son buste sera exposé dans chaque ville hôte des jeux, une victoire pour des dizaines d'anciens patients, dont beaucoup de médaillés paralympiques.

«Poppa me faisait chanter à des parties, se souvient Pam Barnard, qui a gagné une médaille d'or en tennis de table en 1976, à Toronto. Il admirait le fait que j'avais été ballerine et chanteuse avant mon infirmité.»

Mais son dévouement n'avait d'égal que son intransigeance. Si des malades refusaient de sortir de leur lit, il menaçait de les expulser et tonnait: «Vos jours paresseux sont terminés!»

Baptême olympique

Mais sans cette détermination, il n'aurait pas attiré l'attention du comité international olympique qui lui a décerné le prix Fearnley en 1956. Cette année-là, 18 nations participent au championnat de Stoke Mandeville.

Devenu une sommité dans la réhabilitation des paralysés, Ludwig Guttmann recrute des équipes internationales lors de ses nombreux voyages, quand il n'est pas lui-même l'hôte de délégations étrangères.

Les jeux de Stoke Mandeville se transportent à Rome en 1960 à l'invitation du CIO. Les ratés sont nombreux. Les athlètes doivent être portés à leur appartement, situé à l'étage. D'une épreuve à l'autre, ils sont suivis par un camion militaire chargé de leurs chaises roulantes!

Malgré le coup de pouce du CIO, Ludwig Guttmann n'a pas la permission d'utiliser le terme «olympique» de son vivant. Ce n'est qu'en 1988, huit ans après sa mort, que les Jeux paralympiques sont entrés officiellement dans l'élite sportive.

«La voie était déjà toute tracée grâce à ses insistances auprès du CIO», fait remarquer Laura Cotton, archiviste au conseil de Buckinghamshire, le comté de Stoke Mandeville.

Mais l'héritage de Ludwig Guttmann transcende le sport, croit son ancien adjoint Hans Frankel. «Les Jeux de Stoke Mandeville ont initié un changement d'attitude spectaculaire envers les gens en chaise roulante. Ils sont enfin reconnus comme des citoyens à part entière», dit-il.