Premier grand rendez-vous sportif organisé en Russie depuis les Jeux olympiques de 1980, les Mondiaux d'athlétisme de Moscou se sont déroulés dans une terne ambiance, la polémique autour d'une loi russe sur l'homosexualité venant même jeter le trouble avant les Jeux d'hiver de Sotchi et le Mondial 2018 de soccer.

«Si je devais mettre une note à ces Mondiaux, je dirais: 7 sur 10». Même le roi Bolt, si distant des considérations terrestres, ne s'y est pas trompé. Pour la finale du 100 m, le stade Luzhniki, dont la capacité avait pourtant été réduite de 84 000 à 50 000 places, n'avait par exemple pas fait le plein.

«Cela aura été des championnats du monde différents, pas les meilleurs. Ca s'est amélioré au fur et à mesure des jours. Les gens sont devenus plus relax, ils ont commencé à sourire, il y avait plus de monde dans le stade et à la fin, l'ambiance est montée», a estimé Bolt, voulant positiver.

De fait, ces Mondiaux ne feront pas date, loin des grands moments vécus à Berlin en 2009, Paris en 2003 ou Stuttgart en 1993.

Sur la piste, aucun record du monde n'a été enregistré, même si 20 records des championnats ont été améliorés et que la surprise est venue de la première place russe au tableau des médailles devant les États-Unis, une première depuis 2001.

Le plus délicat, pour les organisateurs et la fédération internationale, aura été de gérer l'extrasportif. À commencer par des travées le plus souvent très vides lors des sessions en matinée, et quasiment jamais à guichets fermés en soirée, hormis samedi pour la finale du 200 m. Samedi fut d'ailleurs le seul jour où les vendeurs de billets au marché noir se firent plus visibles.

Un boycott de Sotchi évoqué

Les Russes avaient connu le même souci en juillet, à l'occasion de la Coupe du monde de rugby à 7, extrêmement peu suivie.

L'accueil russe n'a pas non plus semblé démesurément chaleureux, tranchant avec l'habituelle familiarité des grands rendez-vous athlétiques.

Surtout, fédération internationale et responsables de l'athlétisme russe ont dû traiter avec un problème dépassant leurs prérogatives. Les conséquences éventuelles d'une loi de politique intérieure sur l'interdiction de toute propagande homosexuelle devant les mineurs ont enflammé les esprits.

Cette loi, dénoncée comme discriminatoire par certains défenseurs des droits de l'Homme, avait été promulguée en juin par le président russe Vladimir Poutine.

Et la proximité des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi, en février, a donné un prisme particulier aux oppositions qui se font jour au sein du monde sportif.

Le mot de boycott a même été prononcé à plusieurs reprises, certains athlètes faisant entendre leur voix sur la question, de façon plus ou moins maladroite.

Du bout des ongles, la sauteuse en hauteur suédoise Emma Green Tregaro a ainsi fait parler d'elle en les peignant au couleur de l'arc-en-ciel, comme le drapeau homosexuel. Mais elle a dû revoir sa copie entre qualifications et finale, afin de ne pas froisser les susceptibilités.

Baiser russe

Même le traditionnel baiser russe échangé entre deux partenaires du relais russe 4x400 m dames a donné lieu aux interprétations les plus diverses, certains médias occidentaux y voyant une démonstration d'opposition à cette loi et l'interprétant à l'exact opposé du regard russe, comme aux plus belles heures de la guerre froide.

Le paroxysme aura été atteint avec la Tsarine de la perche Yelena Isinbayeva, héroïne nationale au soir de sa victoire. En Russie, «nous nous considérons comme des gens normaux où des garçons sont avec des filles, et des filles avec des garçons», avait-elle déclaré dans un anglais approximatif.

Avant de faire passer un communiqué le lendemain pour modérer ses propos. «Je suis opposée à toute discrimination contre les homosexuels qui se base sur la sexualité (NDLR: ce qui serait contraire à la charte olympique). L'anglais n'est pas ma première langue et je crois que j'ai peut-être été mal comprise».

C'est tout le paradoxe de la Russie finalement résumé: dévoiler son âme sans la fourvoyer.