Bruny Surin, qui a déclaré la semaine dernière que le sprint canadien «était bien malade», a suscité plusieurs réactions dans le milieu de l'athlétisme.

Rencontrés aux abords de la piste de l'Université de l'Ile-du-Prince-Edouard, lundi, alors que s'amorçaient les compétitions aux Jeux du Canada, plusieurs gens du milieu ont voulu apporter un éclairage différent que le portrait qu'a dépeint le médaillé d'or au relais 4X100m des Jeux d'Atlanta.

Rappelons d'abord les faits. À la suite de la performance du Jamaïcain Usain Bolt aux Championnats du monde (9,58 secondes au 100m, une marque mondiale), Surin a décidé de contacter le quotidien La Presse afin de se vider le coeur. Dans cet article, signé par Simon Drouin, on y apprend qu'il est choqué par l'état dans lequel se trouve le sprint canadien, une situation qu'il dit avoir prévu il y a plusieurs années.

Il remet en question l'engagement des sprinteurs et la qualité des entraînements. Bien qu'il précise ne pas connaître tous les athlètes, il les soupçonne de se contenter de faire l'équipe nationale, sans se soucier de leurs résultats sur la scène mondiale.

Les dernières compétitions d'importance tendent à lui donner raison: le meilleur chrono canadien aux Jeux de Pékin a été celui de Pierre Browne (10,22), réussi en préliminaires. Bryan Bennett a été rapidement éliminé aux Championnats du monde, alors qu'il a réalisé un 10,42 en préliminaires. Le meilleur chrono canadien des deux dernières années a été réussi par Jared Connaughton - 10,15 - lors d'une compétition au Texas, en mai 2008.

«Ç'a été une grosse déception pour moi de lire les propos de Bruny», a déclaré Marc-Elie Toussaint, entraîneur au Centre Perfmax de Montréal. Toussaint a lu l'article alors qu'il se trouvait à Berlin pour un stage de perfectionnement avec d'autres entraîneurs, dont Daniel Saint-Hilaire, l'ancien entraîneur de Surin.

«J'entraîne personnellement des athlètes - il est notamment l'entraîneur de Nicolas Macrozonaris - et j'en croise d'autres sur les abords des pistes et à l'entraînement. Je les vois souffrir, être complètement vidés après leurs séances. Je ne crois pas que ce soit juste de parler de leur manque d'engagement.»

«J'ai difficilement accepté de lire que les gens ne font pas de sacrifices.»

«Je ne crois pas que le sport soit malade, a nuancé José Sant, entraîneur de l'équipe du Québec qui oeuvre dans le milieu de l'athlétisme depuis 1965. C'est sûr qu'il a mis le doigt sur quelque chose d'important. Mais le problème n'est pas la cause d'une seule personne, d'une seule fédération. L'athlétisme n'est pas pris au sérieux par le gouvernement. C'est fait pour amuser les jeunes jusqu'à 16, 17 ans et après, plus rien.»

Là où il diverge d'opinion avec Surin, c'est au niveau du manque d'engagement des athlètes.

«Ce n'est pas vrai. Des athlètes, le Canada et le Québec en comptent beaucoup. Nous pourrions produire de grands champions, a ajouté Sant. Nous ne sommes pas un pays du tiers-monde. Mais on envoie de l'argent ailleurs. Peut-être qu'il vaudrait mieux utiliser cet argent pour s'occuper de nos jeunes un peu plus, tout comme des entraîneurs. Les entraîneurs ne sont pas reconnus ici. Ça prend des gens passionnés qui donnent de leur temps.»

Différentes époques

Connaughton, dont Surin est le gérant, parle quant à lui d'une époque différente.

«Je suis d'accord avec Bruny jusqu'à un certain point, a-t-il dit d'entrée de jeu. Mais pour être honnête avec vous, Bruny était un grand sprinteur, mais il n'aurait pas gagné une médaille aux derniers Mondiaux avec son meilleur résultat en carrière (9,84). Bruny courait à une époque où un chrono de 10,10 était un excellent temps. Aujourd'hui, ça ne vous ouvre même plus la porte de la finale.

«Je suis très fier de ce que nous faisons. Nous venons de courir le 4x100m le plus rapide des 10 dernières années à Berlin (38,39). Je ne dis pas que le groupe d'athlètes actuel sera celui qui nous mènera aux podiums, mais c'est un bon point de départ.»

Toussaint trouve aussi que les temps ont changé, surtout au niveau des commanditaires.

«Je ne veux pas dire que Bruny l'a eu facile, loin de là. Mais il a tout de même reçu une aide financière importante de Vidéotron tôt dans sa carrière. De nos jours, nous avons de la difficulté à trouver des commanditaires pour pouvoir amener nos athlètes à un niveau supérieur.»

Sant conclut en donnant un exemple qui montre à quel point le problème est beaucoup plus vaste qu'il en a l'air.

«On demande 3000$ à nos juniors pour faire partie de l'équipe nationale, puis encore 2000$ pour participer aux Mondiaux juniors. Nous sommes le seul pays qui fait cela. Et puis, elle est où la piste d'athlétisme du Stade olympique? Il est où notre vélodrome? On vient de disputer les Mondiaux dans un stade conçu en 1936. Nous, on se défait de nos infrastructures. Ça en dit long.»