Il est 8h30 dans le resto du chic hôtel torontois, mais Georges St-Pierre n'est pas ici. Premièrement, à cette heure, le champion dort. Et deuxièmement, Georges St-Pierre ne peut pas sortir de sa chambre comme il le veut. «Dès qu'il quitte sa chambre d'hôtel, il y a des fans qui veulent le suivre partout», explique Rodolphe Beaulieu.

Beaulieu est le gérant de St-Pierre, avec son collègue et ami Philippe Lepage. Depuis janvier, les deux hommes s'occupent de la carrière du champion des super-moyens des arts martiaux mixtes du UFC, le Ultimate Fighting Championship.

Il s'agit, on l'aura deviné, d'un travail à temps plein. «L'affaire avec Georges, c'est que les gens ne se rendent pas compte à quel point c'est rendu une grosse machine», ajoute Rodolphe Beaulieu en avalant une bouchée de son petit déjeuner.

Celui que l'on surnomme GSP est une grosse machine, en effet. Dans l'octogone, là où il n'a subi que deux défaites en 23 combats. Mais aussi à l'extérieur. Ce soir à Toronto, dans le cadre du gala UFC 129, St-Pierre affrontera Jake Shields devant une foule de 55 000 personnes au Rogers Centre, le stade des Blue Jays et des Argonauts. Du jamais vu pour une carte d'arts martiaux mixtes.

Non, Georges St-Pierre n'est plus le jeune inconnu qui a livré son premier combat pour à peine 1000$ en 2002. Aujourd'hui, Georges St-Pierre, c'est beaucoup plus que ça. C'est un horaire réglé au quart de tour (déjeuner à 11h, dîner à 16h, souper à 23h). C'est une équipe de plusieurs personnes, qui comprend deux cuisiniers, quatre entraîneurs, un photographe qui le suit un peu partout, un garde du corps qui le suit partout aussi. En plus de messieurs Beaulieu et Lepage, évidemment, qui sont à bord et qui veillent au grain.

En d'autres mots, tout, absolument tout, est contrôlé. «Il y a des agents de sécurité à l'étage de Georges, explique Philippe Lepage. S'il doit sortir de sa chambre, on avise la direction de l'hôtel, et on prend ensuite l'ascenseur de service. Bien sûr, on l'a enregistré à l'hôtel sous un nom fictif...»

Combien vaut Georges St-Pierre, au juste? On pose la question aux deux gérants, et la réponse se fait un peu attendre. C'est qu'il faut tout calculer: les cinq grosses commandites, les différents revenus publicitaires, les combats...

Tenez, le Québécois de 29 ans est maintenant si immense qu'il peut se permettre de vendre ses petits messages (les tweets) sur le populaire site Twitter. «Pour faire la promotion de quelque chose sur Twitter, on va exiger entre 10 000$ et 15 000$ pour un tweet, explique Rodolphe Beaulieu. C'est rendu qu'on peut inclure ça dans certains contrats.»

Dana White, le grand manitou du UFC, l'a déjà dit: St-Pierre est l'athlète canadien le plus connu au monde, encore plus qu'un certain Gretzky. Les deux gérants sont bien d'accord. Ils racontent la fois où leur poulain a provoqué à lui seul un immense bouchon de circulation aux Philippines, la fois où il n'a pas été capable de faire trois pas en sortant d'une voiture à Montréal... «Avec Georges, c'est mondial», affirme Rodolphe Beaulieu.

Ce qui ne veut pas dire que c'est toujours facile. Vendre un joueur de hockey, c'est une chose. Vendre un gladiateur? Plus compliqué, mettons. «C'est sûr que c'est un sport qui est plus ou moins accepté, reconnaît Beaulieu. Si Georges avait un bâton de hockey entre les mains, les commanditaires viendraient plus facilement. Les arts martiaux mixtes, c'est une autre culture, et des fois, on réalise qu'il n'y a pas beaucoup de gens qui veulent s'associer à ça.»

En même temps, les 55 000 fans du Rogers Centre envoient un message assez clair au reste du monde: les arts martiaux mixtes, c'est du sérieux. Les arts martiaux mixtes, c'est les ligues majeures. Les prix aussi sont des prix des ligues majeures. Au Rogers Centre, au moment de la mise en vente des billets, la fourchette de prix allait de 50$... à 800$! «Si tu regardes dans le stationnement d'un aréna le soir d'un gala, tu vas voir pas mal plus de Mercedes que de camions pleins de bouette», affirme Philippe Lepage.

Et combien va toucher St-Pierre, ce soir à Toronto? «Jean Pascal avait fait 1,5 million à son premier combat contre Bernard Hopkins... Georges va faire plus que ça», répond Rodolphe Beaulieu, sans donner plus de détails.

C'est un peu beaucoup grâce à GSP si le monde des arts martiaux mixtes peut maintenant se payer un stade. Aujourd'hui, ce monde n'est plus celui d'avant, qui était celui des combats illégaux sur des réserves, celui des combats où les catégories de poids n'étaient qu'un détail embêtant, celui des combattants qui avaient l'air de sortir tout droit d'une mauvaise téléréalité.

Pas un hasard si Georges St-Pierre insiste toujours pour se présenter aux médias en complet. L'image du gladiateur édenté en pantalon de jogging, très peu pour lui. «Quand il a commencé dans le milieu, il voyait les autres combattants et il ne s'identifiait pas à eux. Avec son image soignée, il est en train de faire une petite révolution dans le milieu. Tous les gars arrivent en complet maintenant», explique Philippe Lepage.

Ces jours-ci, St-Pierre discute d'un nouveau contrat avec le UFC. À son âge, le gladiateur québécois est encore loin de la retraite, et ses gérants sont confiants de pouvoir conclure une nouvelle entente sous peu. «Georges a besoin du UFC, et le UFC a besoin de Georges», estime Lepage.

À Toronto, au moins 55 000 personnes sont d'accord.