Les athlètes des fédérations sportives auront bientôt accès au Bureau du commissaire à l’intégrité, qui aura le mandat de recevoir des plaintes, d’enquêter et de prononcer des sanctions.

Gagner la confiance

Climat toxique, népotisme, agressions, harcèlement, maltraitance : plus une semaine ne semble passer sans qu’un milieu sportif soit ébranlé par de graves allégations.

Gymnastique Canada, Boxe Canada, Natation artistique Canada, Bobsleigh Canada Skeleton, Rugby Canada et Hockey Canada sont tous récemment passés dans le tordeur, accusés par leurs membres de manque de sensibilité, d’aveuglement volontaire ou carrément de camouflage de situations intolérables.

Avant cela, il y a eu l’affaire Marcel Aubut, au Comité olympique canadien (COC), et celle de Bertrand Charest, à Canada Alpin.

Les associations d’athlètes et la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, soutiennent que le sport est « en crise » au Canada.

« Moi, je pense que c’est un éveil », nuance Marie-Claude Asselin, chef de la direction du Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC).

Il y a des pratiques qui étaient traditionnelles dans le sport. Les gens fermaient les yeux parce qu’ils disaient : “Ah, ça forme le caractère.” On avait une perception de ce que devait être le sport. Pour préparer des champions, il faut qu’il y ait de l’adversité.

Marie-Claude Asselin, chef de la direction du Centre de règlement des différends sportifs du Canada

Elle poursuit : « On remet en question ces façons de procéder, ces méthodes de coaching des années 1940 ou 1960. C’est un éveil qui est très positif à mon avis. »

Le 20 juin, le CRDSC mettra en fonction le Bureau du commissaire à l’intégrité dans le sport (BCIS). La première commissaire est Sarah-Ève Pelletier, avocate et médiatrice qui a travaillé sept ans au COC et cinq au Comité international olympique. Elle a également été membre de l’équipe canadienne de nage synchronisée.

PHOTO FOURNIE PAR LE BUREAU DU COMMISSAIRE À L’INTÉGRITÉ
DANS LE SPORT

Sarah-Ève Pelletier, première commissaire du Bureau du commissaire à l’intégrité dans le sport

Le CRDSC y travaille depuis six ans. L’affaire Aubut a été un déclencheur. Celle de Charest, entraîneur reconnu coupable de multiples crimes sexuels sur des skieuses, un accélérateur. Mme Asselin a soutenu les victimes dans la suite de cette sordide histoire.

« Le message de ces femmes à la conférence de presse n’était pas nécessairement dirigé vers Canada Alpin. C’était plus pour dire : on veut des changements. C’était : ça prend l’application d’un programme de plaintes indépendant. Ça prend une politique universelle. Dans le fond, ce que ces femmes ont demandé en 2018, on l’a. »

Mme Asselin compare le contexte actuel dans le sport canadien à la vague #metoo : « Il y a eu beaucoup trop de tolérance et ça a dépassé les bornes. Le fait de tolérer certaines choses a permis à des prédateurs de voir qu’il y avait des failles. »

Réprimande et suspension à vie

Le Bureau du commissaire à l’intégrité a pour mandat de recevoir des plaintes des membres des fédérations, d’enquêter et de prononcer des sanctions en vertu du Code de conduite universel pour prévenir et contrer la maltraitance dans le sport (CCUMS).

Pour l’heure, chaque fédération a l’obligation d’avoir un processus de plaintes indépendant. « Il y avait une inefficacité du système parce qu’on avait 90 systèmes parallèles, a souligné la chef de la direction. Chaque fédération avait sa politique, sa tierce partie [indépendante], ses façons de procéder. »

Mme Asselin assure que le BCIS sera totalement libre de ses actions, ce dont doutent les plus de 400 gymnastes qui ont signé une lettre ouverte pour demander une enquête indépendante au gouvernement. Elle-même n’aura « aucune autorité » sur les dossiers ni connaissance des plaintes qui seront soumises. « On met en place un système qui va permettre à ces plaintes d’être traitées, mais sans interférence. Mais il va falloir gagner la confiance. Cette confiance est minée en partant. »

Les sanctions pourront aller d’une réprimande à une suspension à vie.

Entre les deux, il peut y avoir une obligation de suivre certaines formations avant de redevenir admissible. Ça pourrait également être des conditions de pratique comme ne jamais être en présence d’athlètes sans un superviseur ou un chaperon. La gamme de sanctions qui peuvent être imposées est très large.

Marie-Claude Asselin, chef de la direction du Centre de règlement des différends sportifs du Canada

Mme Asselin admet l’existence de « zones grises ». « Il peut y avoir une espèce de gradation des sanctions. » Des cas pourraient aussi se régler par de la médiation, une expertise développée par le CRDSC.

Le Bureau aura autorité sur les fédérations nationales. Des provinces ont cependant démontré de l’intérêt à recourir à ses services. « Au Québec, il y a la plateforme “Je porte plainte”, qui est le premier programme provincial officiel à avoir vu le jour pour traiter ce type de situations. »

Pour l’heure, l’adhésion des fédérations n’est pas obligatoire, mais, se fiant aux déclarations de la ministre, la chef de la direction s’attend à ce qu’elle le devienne.

« Présentement, il faut suivre l’argent ! […] Si l’argent vient de Sport Canada et Sport Canada dit aux fédérations que c’est obligatoire si elles veulent continuer à recevoir du financement, elles vont être obligées de se conformer. »

De toute façon, Mme Asselin s’attend à un accueil généralement positif de la part des dirigeants.

« Il y a des fédérations qui ont très, très hâte de pouvoir confier ça à des experts et recommencer à faire de l’administration du sport. »

Une vague ou un raz-de-marée de plaintes ?

Impossible de savoir le nombre de plaintes qui aboutiront au Bureau du commissaire à l’intégrité dans le sport (BCIS), qui ouvrira le 20 juin.

« Est-ce que ce sera une grosse vague ou est-ce que ce sera un raz-de-marée ? », se demande Marie-Claude Asselin, chef de la direction du Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC), qui chapeaute le BCIS. « On ne le sait pas. On est dans l’inconnu et dans l’anticipation. »

Le United States Center for Safe Sport (USCSS), pendant américain du BCIS pour les plaintes d’agressions sexuelles, avait été inondé de signalements à son ouverture en 2017. En février 2020, le USCSS avait reçu près de 5000 rapports d’évènement et avait sanctionné 627 personnes.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

« Je sais qu’il va y avoir beaucoup d’appels téléphoniques simplement à cause des histoires que nous avons entendues au cours des dernières semaines et des derniers mois », a déclaré la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge.

Nous prévoyons également un effet rétroactif. Je sais qu’il va y avoir beaucoup d’appels téléphoniques simplement à cause des histoires que nous avons entendues au cours des dernières semaines et des derniers mois.

Pascale St-Onge, ministre fédérale des Sports

Selon La Presse Canadienne, le fédéral dépensera 16 millions pour financer le BCIS au cours des trois prochaines années. Dossier épineux : les fédérations nationales de sport participantes devront aussi y contribuer. « Les fédérations vont payer une somme pour participer au programme et cette somme va être mise dans un fonds », a indiqué Mme Asselin.

La chef de la direction du CRDSC compare cette contribution à une « prime d’assurance » « qui va varier en fonction de la grosseur de la fédération, du nombre de membres et du type d’activités ». Le nombre de plaintes qui demanderont une enquête sera également un facteur considéré.

« Ce qui était espéré [à l’origine], c’est que les fédérations qui font moins de prévention et un moins bon travail d’éducation avec leurs membres vont se retrouver à payer plus parce qu’elles vont avoir plus de cas. »

Contrairement aux États-Unis

Selon une loi adoptée par l’ex-président Donald Trump en octobre 2020, le Comité olympique et paralympique américain (USOPC) doit financer le USCSS à hauteur de 20 millions US chaque année. Une partie de cette somme est facturée aux fédérations en fonction du nombre de cas rapportés au USCSS.

Par ailleurs, l’organisme américain a un registre public en ligne des personnes sanctionnées et de leur statut.

Ce ne sera pas le cas au Canada. « Les lois sur la protection de la vie privée sont moins contraignantes aux États-Unis, a expliqué Mme Asselin. Ce qu’on espère faire est de minimalement maintenir un registre des sanctions et de le rendre disponible [de façon sécurisée], un peu comme la base de données des cas de dopage. »