La Sherbrookoise s’est taillé une place avec la délégation canadienne en ski de fond sur luge. À seulement 20 ans.

« Je me souviens, la première phrase que j’ai dite à ma mère, ç’a été : “Ça va me prendre plus de temps que les autres, mais je vais toujours arriver à la même chose, il faut juste que je travaille plus fort.” »

Lyne-Marie Bilodeau avait 5 ou 6 ans. Elle venait de comprendre, pour la première fois, que son corps ne se comportait pas comme celui de son entourage.

« Ça a pris du temps avant que je réalise que j’étais différente. Que je boitais. Qu’il me manquait quelque chose que les autres avaient », a-t-elle raconté à La Presse, au début du mois de février.

La skieuse sherbrookoise est atteinte d’hémiparésie, une paralysie partielle ou déficit partiel de la force musculaire qui touche la plupart du temps une seule moitié du corps. Lyne-Marie est atteinte des deux côtés, mais essentiellement du gauche. Elle évalue son déficit de ce côté à 75 %, et du côté droit, à 30 %.

« Je suis plus affectée du bas du corps et de la main gauche. Je n’ai pas d’équilibre du côté gauche. Il ne faudrait pas que tu me pousses ! Mes réflexes du côté gauche ne sont pas très bons, plus au ralenti que l’autre. Sinon, le côté droit est quasi normal », lâche-t-elle dans un rire retenu.

Son bras gauche étant moins fort, il en résulte « un petit désavantage » pour la double poussée, indique l’athlète.

Ce qui ne l’a pas empêchée d’obtenir son billet pour Pékin. Une information qu’elle n’avait pas encore assimilée à un mois de l’évènement.

Je ne réalise pas que je vais réaliser mon rêve ! Je vogue sur une vague. Je pense que je vais le réaliser quand je vais être assise dans l’avion en direction de Pékin.

Lyne-Marie Bilodeau

L’ours en peluche qu’elle garde toujours dans la poche extérieure de son sac de ski sera aussi du voyage.

Système D

Ce handicap, sa famille « n’en a pas fait un plat », raconte-t-elle.

Son père, Charles Bilodeau, a été un athlète de haut niveau en voile. Sa mère, Sylvie Desrosiers, a fait partie du groupe d’entraîneurs de l’équipe nationale de ski alpin. Sans oublier son frère aîné, dont elle a voulu suivre les traces. Elle a donc grandi dans un environnement propice au sport. Le ski de fond fera très rapidement partie de sa vie, puis suivra le triathlon, qu’elle pratiquera jusqu’à 17 ans.

Lyne-Marie était bien jeune quand elle a affirmé à sa mère qu’elle arriverait aux mêmes résultats que les autres en travaillant plus fort. Mais ce n’était pas des paroles en l’air.

En 3secondaire, dans le cadre d’Expo-Sciences, elle conçoit avec l’aide d’une entreprise spécialisée une orthèse en fibre de carbone pour sa cheville gauche.

À sa grande surprise, sa création a même attiré l’attention et suscité l’intérêt du fabricant Rossignol, qui la commanditait déjà.

La luge

Jusque-là, Lyne-Marie Bilodeau pratiquait le ski de fond debout, plus sérieusement à compter de 2016. Puis, l’année suivante, on lui suggère un virage qui la mènera aux Jeux cinq ans plus tard.

« Après une longue distance en Coupe du monde en Alberta, en 2017, le coach de l’équipe canadienne est venu me voir parce qu’il avait vu que j’avais une très bonne double poussée, que j’étais vraiment très forte, mais que le bas ne suivait plus. »

Il s’agissait d’une épreuve de 15 km, se rappelle-t-elle. Et ses chevilles – sa cheville gauche lui cause davantage de soucis que son bras gauche – étaient trop douloureuses. L’effort constant sur le bas du corps ne lui convenait pas. Elle passe donc au ski sur luge, à genoux.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉQUIPE PARALYMPIQUE CANADIENNE

Lyne-Marie Bilodeau

Les luges ne peuvent être identiques d’un concurrent à un autre puisque leur situation ne l’est pas. Certains athlètes, par exemple, sont amputés des deux jambes.

« C’est très rare que les luges soient exactement pareilles parce que ça dépend du handicap. Il y en a qui sont à genoux sur la luge, d’autres qui ne sont pas capables, donc ils sont assis avec un dossier. Mais il y a des critères pour qu’on ne triche pas, entre guillemets », souligne Lyne-Marie Bilodeau, plus jeune membre et seule Québécoise de la délégation canadienne de ski de fond.

Elle prend le départ en même temps que des skieurs dont la « cote de handicap » diffère de la sienne (LW12), puis le temps est pondéré en fonction de la catégorie, explique-t-elle.

S’entraîner avec son idole

En août dernier, Lyne-Marie Bilodeau a pris la direction de l’Alberta de façon permanente afin de se rapprocher de Canmore, où est établie l’équipe nationale de ski paranordique, appellation qui englobe les différentes formes et catégories du ski de fond, de même que le biathlon.

Il lui serait alors plus facile de s’entraîner comme si elle allait aux Jeux paralympiques… bien qu’elle n’ait pas su à ce moment que ce serait le cas.

Autre plus-value non négligeable : s’entraîner occasionnellement avec son idole, le skieur Brian McKeever, handicapé visuel, Canadien le plus médaillé des Jeux paralympiques d’hiver.

« Il parle beaucoup, il est très verbal ! », lance la Québécoise, qui étudie par ailleurs pour devenir éducatrice à la petite enfance. « Donc, c’est facile d’apprendre de son expérience. Et il a une super belle technique. Même s’il est debout, la double poussée reste la double poussée, donc j’apprends énormément et il est très généreux de ses conseils. C’est sûr que c’est vraiment inspirant. »

En décembre, sa performance à la Coupe du monde à Canmore, qui servait également de sélection pour les Jeux, lui aura valu un laissez-passer. À 20 ans seulement. Ce qui ne l’a pas surprise, néanmoins.

Je dis depuis que je suis toute jeune, et plus concrètement depuis que j’ai commencé à faire de la luge, qu’en 2022, c’est sûr que je fais les Jeux. Je savais en dedans de moi que j’étais capable de le faire. Il fallait juste que je performe le jour des qualifications.

Lyne-Marie Bilodeau

« Faire les Jeux » est une chose. Y performer à la hauteur de son talent en est une autre. Mais, de toute évidence, la triple médaillée d’or aux Jeux d’hiver du Canada 2019 ne se met pas trop de pression. Elle a même confié à La Tribune qu’elle allait acquérir du bagage cette année et que les médailles attendraient aux prochains Jeux. À un mois du départ, elle était toujours dans cet état d’esprit.

« Pour vrai, oui. Vu que c’est un gros évènement, c’est beaucoup de distractions, fait-elle remarquer. Je vais être vraiment en apprentissage et en expérience, et dans quatre ans, en Italie, je vais commencer à penser plus au top 5. »

Les Jeux paralympiques de Pékin se déroulent du 4 au 13 mars. Les épreuves féminines de paraski de fond assis sont prévues les 6, 9 et 12 mars.

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