Arthur Guérin-Boeri a établi un nouveau record d’apnée sportive sous glace, en Finlande, à la fin de mars. L’hiver prochain, c’est au Québec qu’il tentera de repousser ses limites en eau très froide, cette fois non pas en combinaison, mais en simple maillot. Nous avons parlé à l’athlète qui aime surprendre et défier les attentes.

Dans un lac Sonnanen gelé, l’apnéiste français Arthur Guérin-Boeri a parcouru une distance de 120 m en un seul souffle, ne portant qu’une combinaison de 2 mm.

Il nageait sans palmes, contrairement à son record sous glace précédent, en 2017, où sa monopalme l’avait propulsé sur 175 m, vêtu de néoprène d’une épaisseur de 5 mm.

C’est après avoir été le premier homme à franchir les 300 m en piscine (6 longueurs d’un bassin olympique de 50 m), en 2016, qu’Arthur Guérin-Boeri a décidé d’apprivoiser le froid. L’homme de 36 ans, musicien, ingénieur sonore de formation, chauffeur de métier (dans la vingtaine), ne semble pas être fait pour la routine et les chemins balisés. Il se réinvente sans cesse.

« Pour s’entraîner en eau froide, mon camarade de plongée et moi, on avait commencé à se baigner dans le canal Saint-Martin, à Paris, ce qui est assez atypique ! » Afin de relever le défi de l’hiver prochain, au Québec, en simple maillot, le détenteur de records devra pousser encore plus loin son conditionnement au froid.

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Arthur Guérin-Boeri a mis 3 minutes à parcourir ses 120 m sous glace, sans palmes.

Champion de la piscine

Contrairement aux Guillaume Néry, Pierre Frolla et aux autres apnéistes des profondeurs qui vivent à la mer, Arthur Guérin-Boeri habitait à Paris lorsqu’il a commencé à s’intéresser au sport dans lequel il a rapidement excellé.

« Enfant, à 10-12 ans, je m’amusais à faire de l’apnée quand j’étais en vacances à Nice ou en Corse. J’ai toujours aimé ça », raconte celui qui, comme tant d’autres amoureux de l’eau, a été marqué par le film Le grand bleu.

C’est au club Apnée Passion, en banlieue de Paris, qu’il a eu son baptême en piscine, il y a une dizaine d’années. « Au début, on apprend à se mettre à l’eau, à bien se ventiler, à palmer de manière propre, à se relâcher, à apprivoiser la philosophie de ce sport. Mes premières expériences étaient très douces et bien encadrées. J’ai tout de suite senti que j’avais trouvé quelque chose qui me convenait. »

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Arthur Guérin-Boeri s’entraîne dans une piscine près de Paris, avec sa monopalme.

Vie urbaine oblige, la piscine est devenue son royaume. Il a fait de l’apnée dynamique (distance parcourue à l’horizontale, en bipalmes, en monopalme ou sans palmes) sa spécialité, avec cinq titres de champion du monde et quatre records du monde.

Ce n’est que tout récemment qu’il s’est installé à Nice, pour s’entraîner dans le grand bleu et travailler sur sa tolérance au risque et à la compression des profondeurs. L’adaptation à cette pression n’est pas banale. Elle met des années à se faire. Les meilleurs apnéistes du monde réussissent aujourd’hui à descendre à plus de 110 m.

« En apnée, chaque discipline a ses défis et ses facilités. En dynamique, où j’ai accumulé tous mes titres, il faut surtout dépasser la très forte envie de respirer. En profondeur, on doit rester dans le relâchement malgré le risque et la compression. L’envie de respirer est moins présente. L’apnée statique, c’est la discipline où l’enjeu mental est dominant. Il n’y a pas de mouvement et la seule chose à faire est d’observer le temps qui passe », explique celui dont le PB (personal best) en statique dépasse néanmoins les sept minutes.

Alimenter la fascination

Français le plus titré de l’histoire de l’apnée, Arthur Guérin-Boeri a l’intention de s’éloigner doucement des exploits sportifs pour se consacrer à des projets plus artistiques et sociaux.

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Arthur Guérin-Boeri compte consacrer les prochaines années à développer des projets documentaires autour de son sport et de la découverte des océans.

« Déjà, quand je suis en Finlande, on passe plus de temps à filmer des images pour les commanditaires et pour un documentaire qu’à faire le record en lui-même. Il y a tout un projet esthétique autour de ces records sous glace et de leur préparation qui a le potentiel de parler au public, aux médias, aux marques. Les gens sont fascinés par ce sport.

« La compétition, tout le monde s’en fout un peu, poursuit l’athlète. En revanche, il y a un potentiel de communication énorme dans l’apnée comme style de vie. On l’a vu avec les films de Guillaume Néry, comme Freefall et One Breath Around the World, qui ont fait des buzz planétaires incroyables. Les valeurs très actuelles que ce sport communique attirent de plus en plus les marques et les médias : esthétisme, respect de l’environnement, manière non invasive d’explorer, sensibilisation à la découverte et protection des espèces, sobriété, efficience, fusion avec l’élément, dépassement de soi, concentration. »

Après le documentaire sur ses records sous glace – dont celui qu’il doit réaliser au Québec en février 2022 –, le Français aimerait partir à la découverte des océans en apnée, pour une série en développement.

« J’aimerais découvrir les grands requins tigres, les cachalots, les baleines, les dauphins, les barrières de corail, etc., mais aussi les gens qui vivent grâce aux ressources des océans, les pêcheurs, les chasseurs sous-marins, ceux qui font la culture de perles.

« Je vais tenter de comprendre quelles sont leurs problématiques écologiques, de voir les manières ancestrales et modernes de les gérer. Je vais découvrir avec mes capacités extraordinaires d’apnéiste, mais aussi avec mon regard un peu candide de citadin. »

Si, dans ces berceaux de l’apnée moderne que sont la France et l’Italie, le sport est bien établi, c’est moins le cas au Québec. Cette deuxième visite d’Arthur Guérin-Boeri – il avait dirigé une classe de maître en 2018 à l’invitation du club montréalais Apnée Aventure – pourrait donner ici encore un peu plus de visibilité à une pratique méconnue, mais dont on n’a pas fini d’entendre parler.