Après sa médaille d’or aux Jeux olympiques de Tokyo, l’haltérophile Maude Charron cire maintenant ses bottes, repasse ses chemises et fait son lit au carré à l’École nationale de police de Nicolet

La salle d’entraînement de l’École nationale de police de Nicolet est située au deuxième étage. Il est donc interdit d’y laisser tomber des poids. Surtout quand ils peuvent dépasser 100 kg.

Maude Charron s’organise autrement. Plutôt que de lâcher l’haltère avec fracas, elle le dépose doucement.

« Je dois prendre moins lourd, mais ce n’est pas grave. Je m’adapte. Ça m’oblige à travailler d’une autre façon. Normalement, on s’entraîne tout le temps à le lever. Maintenant, je m’entraîne aussi à le redescendre. C’est comme faire un négatif de mon mouvement. »

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Maude Charron en juillet 2021, fière de montrer sa médaille d’or aux Jeux olympiques de Tokyo

Deux mois après sa médaille d’or aux Jeux olympiques de Tokyo, Maude Charron a accepté un nouveau défi : la formation initiale en patrouille-gendarmerie, dernière étape avant de pouvoir devenir policière.

Le test physique préalable – une sorte de course à obstacles – n’a pas été trop compliqué à réussir pour l’haltérophile. Le vrai défi est plutôt de se plier à la discipline de groupe dans un internat de type « paramilitaire ».

« On repasse nos chemises, on cire nos bottes, le lit doit être fait d’une certaine façon, on fait le ménage de nos chambres tous les matins pour l’inspection, détaille-t-elle au téléphone. C’est raide, mais ça nous oblige à avoir de la rigueur. »

Réglée au quart de tour

En ce dimanche de la mi-novembre, Maude Charron est sur la route entre Rimouski et Nicolet. Ce déplacement d’un peu plus de quatre heures est à peu près le seul moment qu’elle avait à consacrer à une entrevue. Du lundi au vendredi, sa vie est réglée au quart de tour.

Levée à 6 h, couchée à 23 h, elle partage une chambre de dortoir avec cinq consœurs. Ses journées sont occupées par des cours, des formations, des simulations, des rapports à remplir et de l’étude.

« C’est vraiment intense comme transition. Ma vie a tourné autour du sport pendant trois, quatre ans. »

Je mangeais cinq repas par jour, de telle façon, à telle heure. Je dormais huit, neuf heures toutes les nuits avec une sieste l’après-midi. Maintenant, je dors quand j’ai le temps. C’est rare que je me couche avant 10 h parce qu’on a trop de choses à faire.

Maude Charron

Elle s’entraîne aussi quand elle peut, soit trois fois par semaine. Elle a dû prendre une photo de son horaire pour faire comprendre à son coach à quel point il était complet.

L’école lui a permis d’apporter sa barre et son matériel. Les premières semaines, elle a pu lever avec une haltérophile d’une autre cohorte. Elle a aussi rencontré Dominik Crête, un kayakiste de l’équipe canadienne qui a pris part aux mêmes Jeux panaméricains.

Son retour de Tokyo a été vibrant. Elle a été reçue un peu partout, surtout à Rimouski, où tout le monde la reconnaît. Elle s’est vite habituée à se faire interpeller à l’épicerie. Moins à se faire klaxonner en promenant son chien. « Je m’attendais un peu à ce genre d’accueil, surtout chez moi, il faut comprendre que je suis rentrée et sortie des Jeux comme une régionaliste. Je suis fière d’être de ma région, de m’entraîner chez nous. Ça a fait en sorte que, chez nous, le monde s’est beaucoup approprié mon succès. »

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Maude Charron dans toute sa splendeur lors de la compétition aux Jeux olympiques de Tokyo

Être reconnue dans un café à Québec l’a davantage surprise. « Je suis extrêmement timide. Chaque fois qu’on m’aborde, je ne sais sur quel pied danser. Au moins, c’est pour quelque chose de positif. Je dis merci et la vie continue. »

Sa notoriété l’a suivie jusqu’à Nicolet, où les instructeurs l’accostent après les cours. « Je redoutais un peu d’être traitée différemment. Finalement, ça va super bien. Je pense que les gens de ma cohorte sont quand même contents de m’avoir avec eux. »

Son seul regret est de ne pas avoir eu assez de temps pour célébrer avec les siens. Ça s’est résumé à des soupers chez sa mère et chez son père. La grande épluchette de blé d’Inde dont elle rêvait sera pour une autre fois, pour une autre médaille.

Dans les circonstances, elle a hésité avant de faire son entrée à Nicolet, fin septembre. « Encore dans l’émotion des Jeux et dans le gros party médiatique, je n’étais pas trop partante pour un internat de type paramilitaire. »

« Une job »

Le plus délicat après Tokyo a été de trouver la motivation pour renouer avec les barres. Avec l’entraînement.

J’ai atteint le summum pour un athlète, qu’est-ce que je peux réaliser de plus ? What’s next ? C’est ma grande interrogation.

Maude Charron

« Pour des athlètes comme moi, s’entraîner, c’est parfois comme une job. On ne le fait pas toujours par plaisir. On le fait parce qu’il faut bien rentrer travailler après les vacances, on le fait parce que notre coach nous le demande. Mais plus tu le fais, plus ton niveau augmente. Tu fais des compromis, tu y consacres plus d’énergie. Je voulais aller au-delà de la routine, au-delà de la job, retrouver le plaisir de le faire. »

L’athlète de 29 ans a eu l’occasion d’en discuter avec Christine Girard au cours d’un stage réservé aux femmes à Saint-Hyacinthe.

« Elle avait apporté ses médailles, je lui ai montré la mienne. On s’est parlé de nos expériences. J’avais beaucoup de questions sur la façon de retourner à l’entraînement, de retrouver la motivation. Ç’a été un super beau moment. »

Le 7 novembre, Maude Charron a participé aux championnats provinciaux. Avec un seul entraînement durant la semaine, elle s’est surprise en levant de bonnes charges.

« En fait, la chose plus importante, c’est que j’ai eu du plaisir à compétitionner. On a ri avec mon coach, avec ma coéquipière Kristel [Ngarlem]. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu autant de fun dans une compétition. »

Son stage à Nicolet l’a forcée à déclarer forfait pour les Mondiaux en Ouzbékistan, plus tôt en décembre. Son prochain grand rendez-vous sera celui des Jeux du Commonwealth à l’été 2022. Pour Paris 2024, elle attend de connaître le statut olympique de l’haltérophilie ainsi que la confirmation des catégories de poids et du processus de qualification avant de se brancher.

« Ma réflexion avance autant que les décisions de la fédération internationale, c’est-à-dire pas beaucoup. »

D’ici là, Maude Charron tentera de marier l’haltérophilie et le métier de policière. « Ça vient avec des compromis, mais je pense que je suis rendue là dans ma vie. »