Petit samedi matin de décembre. Jour d’épicerie. De magasinage. De décoration du sapin. De lecture de notre excellente section Gourmand Noël. Ou peut-être de travail.

Le moment idéal pour parler de la misère des riches. Des chicanes entre des hockeyeurs millionnaires et des propriétaires milliardaires. Un dossier qui se trouve probablement tout au bas de votre liste des préoccupations. Après le tri du linge sale et le remplacement de la litière du chat.

Alors je serai concis.

C’est indécent.

Non, pas votre désintérêt pour la chose.

PHOTO JASON FRANSON, LA PRESSE CANADIENNE

Le commissaire de la LNH, Gary Bettman, et le défenseur du Lightning de Tampa Bay Victor Hedman, alors que tout allait bien entre la ligue et l’Association des joueurs, il y a à peine trois mois

Mais plutôt ces interminables négociations à propos du retour au jeu dans la Ligue nationale de hockey. C’est laid. Lourd. Inélégant. Les deux camps s’entêtent. Et si ça continue comme ça, il n’y aura pas un gagnant et un perdant.

Seulement deux perdants.

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Comment se partager deux ou trois milliards de dollars, plutôt que cinq ?

C’est le cœur du litige. Ce qui n’aide pas, c’est la façon très particulière dont l’argent est remis aux joueurs.

Dans une entreprise normale, les employés touchent généralement 100 % d’un salaire convenu d’avance. Mais chez les cadres ou les vendeurs, le salaire n’est souvent garanti qu’à 75 % ou 90 %. Le reste ? Il est versé sous forme de boni. Si et seulement si certaines performances individuelles ou collectives sont satisfaites.

Dans la LNH, ça fonctionne presque comme ça.

Le mot clé, ici, c’est « presque ».

En 2020-2021, le salaire des joueurs est garanti à 80 %. L’autre part de 20 % ? Voyez ça comme un boni auquel les joueurs ont droit, en fonction des revenus totaux de la ligue. Cet argent est placé dans un compte en fidéicommis. Le fameux escrow. Les joueurs ne savent qu’à la fin de la saison – une fois les comptes faits – s’ils peuvent retirer cet argent. Ou pas. (En parallèle, les joueurs ont accepté qu’une partie de leur paie – garantie – leur soit versée plus tard.)

Les joueurs détestent ce système. Ils préféreraient évidemment recevoir 100 % de leur salaire. Sauf que depuis 2012, les revenus sont partagés moitié-moitié entre les propriétaires et eux. Et faire les calculs, ça prend du temps. D’où la nécessité d’un tampon, l’escrow, pour que les propriétaires ne courent pas après les joueurs pour ravoir de l’argent si les revenus sont en deçà des attentes.

Notez que depuis son entrée en vigueur, le partage des revenus a très bien servi les joueurs. Chaque année, les revenus de la ligue ont augmenté. Donc la portion versée aux joueurs a augmenté. Donc le plafond salarial a augmenté. Donc les salaires ont augmenté.

C’est super quand ça monte.

C’est agaçant quand ça descend.

C’est catastrophique quand ça crashe.

Comme maintenant.

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Depuis mars, les revenus de la LNH se sont effondrés. Tellement que la ligue a prévenu les joueurs : si on respecte l’esprit de la règle du partage des revenus, vos salaires devront diminuer. Et de plus de 20 %.

Concrètement, les propriétaires souhaitent – entre autres – réduire davantage la portion garantie du salaire. « Les joueurs doivent plus d’argent à la ligue que personne n’aurait pu l’imaginer », a expliqué le commissaire Gary Bettman mercredi au Sports Business Journal. Dans le contexte de la pandémie, ça paraît légitime.

Les joueurs, bien sûr, sont mécontents. Ils tiennent à la partie garantie de leur salaire. Ils soulignent – avec raison – que la convention collective vient tout juste d’être signée, et que les propriétaires doivent respecter leur engagement. C’est aussi légitime.

Le problème, c’est que deux revendications légitimes ne font pas une entente.

C’est plutôt le contraire.

Pendant que les avocats décortiquent les alinéas et les points-virgules de la convention collective, personne ne joue.

Or, pas de matchs, pas de revenus.

Pas de revenus, encore moins de milliards à partager.

En fait, la situation ne fait qu’empirer. Au point qu’on se demande s’il y aura une saison. Un scénario maudit pour les joueurs. Mais pour certains propriétaires, peut-être que les pertes seraient moins élevées si tout était annulé.

L’agent de joueurs Allan Walsh est allé au-devant. Il vient de faire cette mise en garde à la LNH sur Twitter, rappelant que l’encre est à peine sèche sur le nouveau contrat de travail.

« Si la LNH annule la saison 2020-2021 parce que les joueurs ne veulent pas céder encore 300 millions, ce sera un lock-out, ce qui est prohibé par l’article 7.1 (b) de la convention collective. Si les avocats de la LNH conseillent aux propriétaires qu’ils puissent gagner ce point, je leur suggère de retourner à la faculté de droit. Les propriétaires s’exposeraient à des milliards de dollars en dommages potentiels s’ils invoquaient à tort un cas de force majeure pour annuler la saison. »

C’est une position confiante. Mais si j’étais un joueur, je ne parierais pas mon escrow là-dessus.

Depuis la signature de la convention collective, cet été, les gouvernements ont instauré de nouvelles règles pour encadrer la pratique du sport. Des exemples ?

• Au Québec, un arrêt ministériel signé le 17 novembre force les équipes-bulles à s’isoler 14 jours avant et après une compétition dans un environnement protégé.

• En Colombie-Britannique, le premier ministre vient de demander un resserrement des frontières entre les provinces.

• En Ontario, la ministre de la Santé Lisa McLeod a interdit les mises en échec dans le junior majeur. « Pas juste pour la Ligue de l’Ontario. Pas juste pour le hockey en général, mais pour tous les sports », a-t-elle déclaré à la fin octobre.

• Dans le comté de Santa Clara, où jouent les Sharks de San Jose, les rencontres de sport professionnel sont de nouveau interdites.

Est-ce que la LNH gagnerait facilement une cause de force majeure ?

Non. Mais ce ne serait pas une défaite assurée non plus, juste parce que la convention vient d’être signée.

La solution ? Elle se trouve peut-être dans ce vieux classique de Balzac.

« Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. »

Pour le bien de tous.