Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence.

Miguel Bujold

Dans les jours précédant le Super Bowl en 2013, j’ai eu la chance de poser quelques questions à celui qui est considéré comme le meilleur joueur de l’histoire (certainement le meilleur receveur) par bien des gens : Jerry Rice. Toujours aussi élégant et en aussi bonne forme physique que lorsqu’il jouait une décennie plus tôt, Rice a pris place à une table où l’attendaient une dizaine de journalistes. Le temps de quelques secondes, je me suis senti comme un gamin de 9 ans. J’étais à un mètre ou deux près du Michael Jordan du ballon ovale. Lorsqu’un journaliste lui a demandé ce qu’il pensait du commentaire de Randy Moss, qui s’était autoproclamé le receveur le plus talentueux de l’histoire quelques jours plus tôt, Rice était prêt. « Ce que je sais, c’est qu’il [Moss] n’a pas ceci », a répondu la légende des 49ers en levant un doigt pour nous montrer l’une de ses bagues de championnat. Comme par hasard, la bague était sur son majeur…

Mathias Brunet

Avril 1993. Michael Jordan est au sommet de sa gloire. J’assiste à l’entraînement des Bulls de Chicago au Madison Square Garden la veille du dernier match de la saison contre les Knicks de New York. Raymond Lalonde, directeur des relations internationales de la NBA, me fait signe de me faufiler dans le vestiaire pour poser mes questions à Jordan. Il sort de la douche et s’assied sur sa chaise devant son casier. Je balbutie ma première phrase.

« – Auriez-vous un instant pour quelques questions ?

Mon accent ne passe pas inaperçu. Il éclate d’un large sourire.

– D’où tu viens, toi ? s’exclame-t-il, sympathique.

– Euh… Montréal », répliquai-je timidement.

J’ai le temps de poser une seule question, griffonnée sur ma feuille de notes, qu’une horde de reporters s’agglutine autour de Jordan. Je resterai aux premières loges, mais je n’ose pas rouvrir la bouche. Je suis déçu de ne pas avoir eu plus de temps seul avec lui, mais soulagé à la fois…

PHOTO FOURNIE PAR MATHIAS BRUNET

Un article de Mathias Brunet
 sur Michael Jordan, dans La Presse, 
en 1996

Philippe Cantin

Peu après mon arrivée sur le « beat » du Canadien pour le compte du Soleil en novembre 1984, j’aperçois Guy Lafleur dans le vestiaire après un entraînement. Il noue sa cravate, prêt à quitter le Forum. Aucun journaliste ne l’entoure, c’est ma chance de l’interviewer, lui, mon idole de jeunesse avec les Remparts de Québec. Je m’approche, me présente, et Guy m’accueille avec un sourire amical. Il répond à mes questions comme si j’étais un vétéran du métier. Pour lui, il s’agit d’une entrevue de plus dans les milliers qu’il a accordées durant sa carrière. Pour moi, c’est un rite de passage, mon entrée dans la cour des grands. J’interroge un authentique héros québécois, moi qui rêve depuis l’enfance de devenir journaliste. J’ai 25 ans, je dois me pincer pour y croire. Non, je n’ai pas oublié ce moment magique. Merci encore Guy !

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Lafleur

Simon Drouin

« Allô, c’est Michael Phelps… » J’étais dans la vieille salle de rédaction de La Presse, il appelait de Colorado Springs, en amont d’une visite à Montréal pour la Coupe du Québec de natation. Il venait de terminer son troisième entraînement de la journée. Je l’avais déjà interviewé seul à seul dans un hangar de la piscine de l’île Sainte-Hélène. Là, il avait atteint une autre dimension avec ses huit médailles d’or à Pékin et sa photo avec une pipe de marijuana. Il avait répondu à mes questions sur un ton un peu machinal. Celui qu’on appelait le Kid de Baltimore m’a surtout « ébloui » en nageant. J’ai eu le privilège inouï d’assister à presque toutes ses courses olympiques, de sa 3place au 200 libre d’Athènes, la « course du siècle » remportée par Ian Thorpe, à son triomphe pékinois, de son semi-échec de Londres (4 or, 2 argent !) à son émouvant chant du cygne de Rio. Je n’oublierai pas sa dernière conférence de presse au Brésil, où il s’était révélé plus humain que jamais. « Vous avez vu le vrai Michael Phelps », avait-il conclu. Je n’avais pas envie qu’il raccroche.

PHOTO BOB STANTON, USA TODAY SPORTS

Michael Phelps

Richard Labbé

Janvier 2003, au Super Bowl à San Diego. C’était l’une de ces soirées mondaines qui n’avaient plus de secrets pour moi, et au fond du resto, près du bar, il y avait Michael Irvin. Le vrai, là. Le grand receveur des Cowboys de Dallas des années 90, mon équipe favorite de tous les temps. Alors je me suis approché pour dire salut, et surtout, comme n’importe quelle personne normale, lui rappeler à quel point il avait été victime d’interférence de la part de Deion Sanders lors du match de championnat de la NFC contre les 49ers de San Francisco en 1995, une pénalité ratée qui a mené à la défaite des Cowboys. Sans hésiter, Michael, mon nouveau meilleur ami, a acquiescé : « T’as tellement raison, il y aurait dû avoir une pénalité à Deion sur ce jeu ! » C’est dur à expliquer, mais ça m’a fait vraiment beaucoup de bien.

PHOTO FOURNIE PAR RICHARD LABBÉ

Richard Labbé en compagnie
 de Michael Irvin

Guillaume Lefrançois

L’occasion aurait été bonne pour parler de la première rencontre avec Mario Lemieux. C’était aux funérailles de Jean Béliveau, en 2014, mais ce fut bref ; Lemieux n’a pas daigné s’arrêter devant les journalistes pour dire quelques mots à propos du Gros Bill. Tant pis. Sinon, couvrir un premier entraînement du Canadien avait été marquant. Assister à une mêlée de presse de Saku Koivu était à la fois impressionnant et intimidant pour un jeune journaliste qui regardait des matchs du Tricolore depuis l’âge de 6 ans. Le joueur le plus gentil avait été Patrice Brisebois, qui était alors à son deuxième séjour à Montréal. On arrive à la fin de sa mêlée de presse, les journalistes vont voir un autre joueur, on se présente, et on lui demande s’il a encore du temps pour quelques questions. « Bien sûr que j’ai du temps ! » Une belle façon de rendre à l’aise quelqu’un qui ne l’était pas.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Patrice Brisebois devant les membres des médias

Simon-Olivier Lorange

Le 29 mars 2012, ce n’est pas seulement un individu, mais quelque chose comme une cinquantaine de personnes qui m’ont intimidé par leur présence et leur prestance. Alors que le Canadien égrainait les derniers matchs d’une saison misérable, on m’a désigné comme remplaçant du remplaçant pour aller couvrir l’entraînement matinal de l’équipe. Or, Geoff Molson a choisi cette journée pour congédier son directeur général Pierre Gauthier. À mon arrivée à Brossard, j’ai donc fait connaissance avec la proverbiale horde de journalistes de Montréal, entassés dans une salle de conférence pleine à craquer. Un peu ému, surtout tétanisé, je ne comprenais pas trop ce qui m’arrivait. Et je n’avais encore rien vu, car c’est quand le troupeau descend dans le vestiaire que ça devient vraiment spectaculaire. Chacun pour soi, et tant pis si le bras n’est pas assez long pour pointer son enregistreuse vers Brian Gionta à travers la mêlée. Ces idoles devenues collègues le savent sans doute, mais en tant que groupe, ils et elles font (un peu) peur.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Gauthier, directeur général du Canadien
au, au début des années 2010

Michel Marois

Le circuit féminin de tennis organise avant chacun de ses tournois une séance de presse qui réunit les huit favorites de la compétition. Il y a une douzaine d’années, je me suis retrouvé dans une de ces séances avant la Coupe Rogers à Toronto. Les meilleures joueuses du monde étaient assises chacune à leur table et les journalistes se relayaient autour d’elles. J’avais gardé les sœurs Williams pour la fin. Une mauvaise et une bonne idée. Quand je suis arrivé à la table de Serena, elle avait déjà fait le vide autour d’elle avec son mélange d’humour et d’ironie qui vous laisse souvent l’impression qu’elle se moque un peu de vous. Je ne me souviens plus des deux ou trois questions que j’ai réussi à lui poser, mais j’ai été soulagé quand son agente est venue la chercher ! J’ai heureusement pu rebâtir ma confiance à la table de Venus, qui est toujours agréable et reste aujourd’hui l’une des athlètes qui m’impressionnent par leur simple présence.

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Venus et Serena Williams en 2011 à Toronto

Pascal Milano

J’ai grandi en suivant religieusement les Coupes européennes et, donc, la Ligue des champions à partir de 1992. Vous connaissez les grands noms : le Real Madrid, le FC Barcelone, l’Ajax d’Amsterdam, Manchester United, le Bayern Munich ou l’AC Milan. En juin 2010, je n’étais pas encore officiellement à la section des sports quand on m’a justement demandé de couvrir la venue du club milanais à Montréal. Entre des matchs face aux Railhawks de la Caroline et du Miami FC, l’Impact accueillait les Ronaldinho, Clarence Seedorf, Alessandro Nesta ou Filippo Inzaghi. C’est ce dernier, auteur de 50 buts en Ligue des champions, qui est venu parler aux médias la veille du match. J’ai vite dégainé mon BlackBerry pour prendre une photo du joueur d’une main tout en enregistrant la mouvementée mêlée de presse de l’autre. Je n’en ai pas fait une habitude par la suite.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Matt Jordan, de l’Impact de Montréal, fait un arrêt contre Filippo Inzaghi, de l’AC Milan.

Alexandre Pratt

Ça s’est passé au journal étudiant, pendant la campagne référendaire de 1995. Lucien Bouchard nous donnait une entrevue. Les autres médias pouvaient y assister, à la condition de ne poser aucune question. Il y avait au moins 10 caméras et 30 journalistes. J’avais 17 ans. C’était intimidant. Je me souviens seulement de la dernière question. « M. Bouchard, auriez-vous un scoop pour Le Mot Dit ? » Le chef du Bloc s’est penché vers moi. Il a murmuré je ne sais quoi. Toutes les caméras ont flashé en même temps. Puis il est parti. Dans la tempête, nous avons oublié de prendre une photo de l’entrevue. Nous avons donc photographié… sa chaise. Le lendemain, on se trouvait bien drôles avec la chaise. Puis on a reçu Le Devoir. La manchette ? « Bouchard révèle la question. » Le lead ? « Lucien Bouchard l’a vue et il a confié le secret à l’équipe de rédaction du Mot Dit. » Probablement le plus gros scoop de ma carrière. Qui était caché dans mon dernier paragraphe. Éclipsé par la photo d’une chaise…

PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRE PRATT

L’article d’Alexandre Pratt dans le journal étudiant Le Mot Dit, en 1995