À 16 ans, le Colombien Nicolas Laborde est arrivé à Montréal avec ses patins à roues alignées sous les bras et l’idée d’apprendre l’anglais. Six ans plus tard, il est toujours là, parle français et vise les Jeux olympiques… en patinage de vitesse courte piste.

Huit hommes s’alignaient sur la ligne de départ de la finale du 1500 mètres aux Championnats des Quatre Continents de patinage de vitesse courte piste, le 11 janvier, à Montréal. Trois Sud-Coréens, deux Canadiens, un Américain, un Chinois et un… Colombien.

Nicolas Laborde est le seul patineur courte piste de la Federación Colombiana de Patinaje. Avec un nom pareil, il aurait pu être un Québécois avec un parent d’une autre origine qui a trouvé une façon d’atteindre le plus haut niveau.

Mais Nicolas Laborde est bel et bien né et a grandi à Bogotá. Jusqu’à ce qu’il déménage à Montréal pour apprendre l’anglais, en mars 2014, il n’avait jamais vu une patinoire de sa vie. Et encore moins chaussé de bottines à longues lames.

Mais il avait déjà un sacré coup de patin. Depuis son tout jeune âge, il pratiquait son art sur le bitume, en roues alignées. À son arrivée au Québec, à l’âge de 16 ans, il occupait le deuxième rang de sa catégorie en Colombie, où cette discipline est très populaire. Son père lui avait un peu tiré l’oreille pour qu’il aille apprendre l’anglais chez son oncle montréalais après son secondaire.

Le jeune Nicolas prévoyait poursuivre l’entraînement avec l’ambition de se qualifier à son retour dans l’équipe nationale de son pays natal, une puissance mondiale.

Presque six ans plus tard, il vit toujours ici. Il a appris l’anglais, mais surtout le français, s’apprête à terminer un diplôme d’études professionnelles (DEP) en design industriel et vise une participation aux prochains Jeux olympiques de Pékin en patinage de vitesse courte piste.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Nicolas Laborde est le seul patineur courte piste de la Federación Colombiana de Patinaje.

Découverte

Peu après son arrivée, il a touché à la glace pour la première fois en suivant sa cousine qui s’entraînait au club Montréal–Saint-Michel. L’expérience ne fut pas très concluante.

« C’était très différent, je ne comprenais pas trop », se souvient Laborde, rencontré devant un chocolat chaud dans un café de Côte-des-Neiges, la semaine dernière. « En roller, les châssis où tu mets les roues sont placés au milieu du pied. En courte piste, la lame est vraiment tassée vers l’intérieur [pour éviter le frottement de la bottine dans les virages]. Au début, j’essayais de mettre mes deux pieds parallèles et la lame gauche était toujours en diagonale. Ça faisait du bruit et je n’étais pas capable de glisser. C’était vraiment drôle ! »

Ensuite, il a assisté comme spectateur aux Championnats du monde qui se déroulaient à l’aréna Maurice-Richard. La participation d’un Argentin l’avait intrigué, mais il avait surtout été frappé par la vitesse des Charles Hamelin et autres Valérie Maltais.

J’ai trouvé malade le fait qu’ils s’inclinaient assez pour toucher la glace, que les lames étaient à 45 degrés. Les dépassements, c’est vraiment cool. Ce n’est pas la même chose en roller, où il y a beaucoup de contacts. Je me suis dit : c’est très propre.

Nicolas Laborde

« En courte piste, souligne-t-il, s’il y a un contact, une personne est normalement disqualifiée. »

Cette découverte lui avait plu, mais son attention était entièrement tournée vers le patin à roues alignées. Au circuit Gilles-Villeneuve, il s’est joint à un petit groupe dirigé par un ancien entraîneur de l’équipe nationale de Colombie. Cet été-là, La Presse l’avait croisé une première fois dans le cadre d’un reportage sur Maltais. La médaillée olympique de l’équipe canadienne de courte piste avait intégré la « roulette » à sa préparation et s’apprêtait à participer aux Jeux panaméricains de Toronto présentés l’été suivant à Toronto.

Steve Robillard, copain de Maltais à l’époque, était là aussi. Ancien membre de l’équipe nationale de courte piste et passionné de roues alignées, il était alors entraîneur au club Montréal Gadbois. À la fin de l’été, il a invité Laborde à tenter sa chance sur glace.

« Au début, c’était un peu drôle. Je parlais seulement anglais et presque tout le monde dans le groupe avait trois ou quatre ans de moins que moi. J’y allais trois, quatre fois par semaine. J’essayais simplement de les suivre. Je patinais comme en roller. Je tombais beaucoup, frappais les cônes. Je me demandais ce que je faisais là exactement ! »

À la fin de la saison, Laborde a pris part à une première compétition provinciale. Il a terminé premier dans le groupe le plus faible, surtout grâce à sa force physique. Un an plus tard, la fédération colombienne lui a proposé de participer aux Mondiaux juniors en Bulgarie. Nerveux, il a fini presque dernier au classement général.

La saison suivante, il a poursuivi son apprentissage sur le circuit québécois et disputé une première Coupe du monde à Salt Lake City. Il s’est fait une copine montréalaise qui patinait au centre régional canadien à Maurice-Richard. Elle l’a aidé à améliorer son français, qu’il étudiait dans un centre de francisation pour adultes, et introduit au coaching.

En 2017-2018, Laborde a tenté en vain de se qualifier pour les JO de PyeongChang. « Mon meilleur résultat était 36e ou 37e, mais il fallait être dans le top 32 pour aller aux Olympiques. » À la fin de l’année, il a disputé les Mondiaux à Montréal, se classant 36e au cumulatif.

Objectif Pékin

Entre-temps, il a poursuivi ses études avec le projet d’entrer en génie à l’université. À sa deuxième année de sciences pures au cégep, il a appris à son grand désarroi que son programme ne lui permettrait pas de faire une demande pour devenir résident permanent. Il a donc bifurqué vers un DEP en design industriel qu’il tient à terminer avant l’échéance de son permis d’étudiant étranger, en mai.

Il a apprivoisé Montréal et son hiver qu’il trouve juste un peu long et sombre. 

Je n’étais pas super sûr de venir ici au début. C’est mon père qui m’a poussé. Ma manière de voir la vie a beaucoup changé depuis que je suis ici. C’est plus sécuritaire, plus tranquille. Le style de vie est vraiment différent.

Nicolas Laborde

Laborde continue de s’entraîner et de coacher à Montréal Gadbois. Il est également entraîneur-chef du club de Saint-Constant. Il poursuit sa progression sur le circuit international.

Sa sixième place en finale du 1500 m aux Championnats des Quatre Continents est son meilleur résultat à vie. Certes, sa participation était attribuable à la disqualification en demi-finale du jeune Montréalais William Dandjinou, mais il n’a pas joué les spectateurs quand l’occasion s’est présentée. « Dandjinou a 18 ans, soit presque mon âge quand j’ai commencé le courte piste… »

Face à des rivaux beaucoup plus aguerris en finale, Laborde a répondu au défi lancé par son entraîneur Patrick Duffy, soit de « laisser savoir aux autres qu[’il] est là ». Il a pris la tête en début de course avant de se faire dépasser petit à petit.

Laborde vise les prochains Jeux d’hiver de Pékin. S’il obtient la résidence permanente, le patineur de 22 ans compte s’installer à Calgary où il profitera de conditions d’entraînement plus favorables.

« Les Jeux olympiques [de 2022], c’est vraiment mon but, avance-t-il. Je suis parti de zéro. La fédération m’aide beaucoup, mais ce n’était pas le cas au début. Ça s’améliore. Le chemin est encore long, mais ça me rend super fier de représenter mon pays. »

Sur roues ou sur lames, Nicolas Laborde se dit que ça reste du patin.

Une grosse affaire

Le patinage de vitesse à roues alignées est une grosse affaire en Colombie. « Un peu comme le hockey ici ou le courte piste en Corée du Sud, expose Nicolas Laborde. C’est fou. Par exemple, dans un championnat, il peut y avoir 500 ou 600 patineurs de bon calibre. Aux Championnats du monde, la Colombie a remporté 12 ou 13 titres depuis 15 ans. On ne domine pas toutes les catégories, mais on a de très bons patineurs juniors, seniors, femmes et hommes, longue et courte distances. »

Pas le premier

S’il parvient à se qualifier pour Pékin, Laborde ne sera pas le premier patineur colombien aux Jeux olympiques. Son compatriote Pedro Causil a été le premier patineur de vitesse sud-américain à participer aux JO à PyeongChang en 2018. Multiple champion mondial en roues alignées, il a pris le 20e rang au 500 m en longue piste. « Il m’a dit qu’il aurait aimé continuer, mais que ça devenait trop cher et que ce n’était pas rentable pour lui sur le plan économique. »

Transfuges

Quelques transfuges du patinage de vitesse à roues alignées ont obtenu du succès sur glace en longue piste. Le plus connu est probablement l’Américain Chad Hedrick, médaillé d’or au 5000 m aux JO de Turin en 2006. Il avait été inspiré par son compatriote Derek Parra, qui avait gagné l’or au 1500 m et l’argent au 5000 m quatre ans plus tôt à Salt Lake City. Le Néerlandais Michel Mulder (or 500 m, JO 2014) et le Belge Bart Swings (argent départ groupé, JO 2018) sont deux autres exemples plus récents. La transition vers le longue piste est beaucoup plus naturelle que ce que tente Nicolas Laborde en courte piste, où les virages sur l’anneau de 111 mètres sont nettement plus prononcés.