L’alpiniste québécois Gabriel Filippi a atteint le sommet de l’Everest pour la troisième fois le 15 mai dernier. C’est un exploit.

Moins de 24 heures après, toujours accompagné du sherpa Sonam, il a atteint le sommet du Lhotse, la quatrième montagne du monde pour la hauteur, une ascension technique. C’est aussi un exploit.

Mais le plus grand exploit, peut-être, a été d’éviter la fameuse cohue au sommet de l’Everest le 22 mai. Filippi a accompli cette prouesse à l’aide d’un passionné de la météo de haute altitude installé… en Ontario.

Pendant l’expédition, la routine est bien établie.

Après sa journée de boulot comme gestionnaire des technologies de l’information de l’hôpital de la petite ville de Deep River, Garry Hartlin se précipite chez lui pour potasser divers sites météorologiques.

Parfois, les sites présentent des prévisions totalement différentes. Parfois, ils s’accordent. Hartlin a appris à faire la part des choses et à amalgamer le tout.

« Je regarde différentes choses, raconte-t-il. Je regarde les tendances. Je regarde la vitesse du vent à haute altitude, je regarde combien de neige il va tomber, je surveille le courant-jet. Souvent, le courant-jet descend et touche le sommet de l’Everest. Le vent souffle alors à 150 km/h, c’est impossible d’aller là. »

Les fortes chutes de neige augmentent le risque d’avalanche, ou encore enfouissent les cordes fixes installées par les sherpas.

En début de soirée, Hartlin a une bonne idée de la météo et communique avec Filippi. Pour ce dernier, c’est le matin. Il peut communiquer avec son météorologue amateur personnel par internet (au camp de base) ou par téléphone satellite (aux camps avancés).

Hartlin lui fournit alors un résumé.

« Parfois, il est déçu, raconte-t-il. “Je veux y aller cette semaine !” “Non, tu ne peux pas !” »

Le météorologue amateur essaie de lui trouver une fenêtre de beau temps de quatre jours, le temps de monter aux camps avancés, d’atteindre le sommet et de descendre de façon sécuritaire. « Je suis chanceux quand je trouve une fenêtre de 48 heures », soupire-t-il.

762 alpinistes

C’est ce qui est arrivé cette fois-ci.

Filippi s’inquiétait au sujet du nombre élevé de grimpeurs cette année. Le Népal avait accordé 381 permis pour l’Everest. En utilisant un ratio d’un sherpa pour chaque grimpeur, on arrive à un nombre vertigineux de 762 alpinistes.

« Quand on a vu la foule, on a décidé de changer nos plans pour devancer tout ce monde-là, raconte Filippi. Ce n’est pas quelqu’un qui n’est pas compétent, qui n’est pas un grimpeur, qui va me mettre en danger. Si je meurs, ce sera de ma propre faute. »

Filippi et Hartlin détectent une fenêtre de deux jours, les 15 et 16 mai.

« Ça semblait très stable, mais il allait faire froid. Je me suis dit : “Je suis québécois, je suis canadien, je suis habitué au froid.” » — Gabriel Filippi

La décision se révèle excellente : à part un groupe de Chinois et leurs sherpas, il n’y a pratiquement personne sur l’Everest. Les chefs des grosses expéditions commerciales n’ont pas voulu envoyer leurs clients dans le grand froid. Et une fenêtre de 48 heures n’est pas suffisante pour des gens inexpérimentés. Les expéditions commerciales ont donc favorisé la fenêtre des 22 et 23 mai, avec la cohue que l’on sait.

« J’avais l’Everest pratiquement à moi tout seul, s’enthousiasme pour sa part Filippi. C’était une expédition de rêve, le plus beau de mes trois sommets. »

Le beau temps se poursuit le 16, Sonam et lui atteignent avec succès le sommet du Lhotse, à 8516 m d’altitude. « J’ai adoré, c’est vraiment un beau doublé, c’est un beau moment dans ma carrière. Quelqu’un m’a dit que, maintenant, j’étais rendu dans la cour des grands. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE GABRIEL FILIPPI

La crête vers le sommet de l’Everest, une ascension de rêve pour Gabriel Filippi

L’alpiniste québécois reconnaît le rôle clé de Hartlin et d’autres personnes qui l’ont aidé dans cette expédition. « C’est un peu comme l’athlète olympique qui va chercher sa médaille sur le podium. Combien de gens l’ont amené là ? »

Filippi connaît Hartlin depuis 2005, alors que celui-ci était chef de camp pour une expédition à l’Everest. « À l’époque, il en coûtait 150 $US par jour pour obtenir un bulletin météo quotidien, raconte Hartlin. J’ai réussi à trouver des sites météo aussi précis et à établir des moyennes. »

Il réalise que les prévisions à plus de 48 heures d’avance sont totalement inutiles. « Ce n’est plus de la prévision, c’est de la sorcellerie ! »

Il aide alors Filippi à trouver une fenêtre de 12 heures qui lui permet de fouler le sommet de l’Everest pour la première fois. En 2010, il vient également en aide à l’alpiniste québécois qui tente d’atteindre le sommet du côté chinois. Il ne fait vraiment pas beau, mais grâce à ses bulletins fournis à répétition, Filippi se glisse entre les périodes moins propices pour accomplir une deuxième ascension.

Malgré son grand intérêt pour l’Everest, Hartlin n’a aucunement l’intention de grimper au sommet de la bête. « Je ne suis pas fou ! lance-t-il en riant. C’est un endroit dangereux. Il y a 100 façons de se tuer sur l’Everest et les gens semblent en trouver de nouvelles. »

Par contre, il adore le trek jusqu’au camp de base dans une des plus belles régions du monde. « J’aime la randonnée, mais je ne grimpe pas les montagnes. Je dis aux alpinistes qu’ils sont fous, et ils rient. »