La course démarre sur la jetée de Santa Monica, à Los Angeles, et se conclut devant le célèbre panneau «Welcome to Fabulous Las Vegas». Entre les deux? Aucun parcours officiel, aucun ravitaillement, aucun point de contrôle, aucun règlement ou presque, aucune bourse et aucune véritable médaille pour les finissants.

The Speed Project (TSP), course à relais de 340 milles (environ 550 km), est l’un de ces ovnis qui fascinent les coureurs par le cadre qu’il propose et par le défi qu’il impose. Dix membres du club de course Yamajo, établi dans le quartier Petite-Bourgogne, ont justement succombé à l’aventure au début du printemps.

«C’est moi, le coupable, lance David Joseph, cofondateur de Yamajo. J’ai vu des photos sur Instagram il y a deux ans et, tout de suite, je me suis dit: "Wow, il faut vraiment être fou pour faire ça et j’ai envie de faire ça." L’an dernier, on n’était pas sûrs si le club était prêt à relever un gros défi comme ça. Par contre, je l’ai regretté dès que la course a commencé.»

Rendez-vous a donc été pris pour la cinquième présentation au début de ce printemps. David avait déjà abordé le sujet avec plusieurs membres du club.

«Il m’en a parlé il y a deux ans et j’avais déjà vu des photos, raconte Pierre-Alexandre Cardinal. J’avais déjà commencé à faire des ultras et je me suis dit: "Hell yeah, n’importe quand."»

«Je ne connaissais pas, mais je trouvais que c’était malade, souligne Youssef El Maaoua. J’ai immédiatement accroché et j’étais partant tout de suite. J’étais excité, mais en même temps, je savais que ça allait demander de l’organisation et un entraînement l’hiver.»

Effectivement. Il a autant fallu trouver des commanditaires que suivre un programme qui permettrait de tenir le rythme au fil des 550 km. Et avec un hiver particulièrement difficile, les coureurs ont souvent dû se rabattre sur des séances sur tapis roulant ou se rendre dans un stationnement souterrain de Brossard les dimanches matin.

«Les semaines d’entraînement ont été la grande difficulté, précise Marjorie Jean-Louis. On ne voulait pas souffrir durant la course, alors l’idée était d’être le plus entraînés possible. On a mis un gros focus sur la préparation et ça nous a permis de repousser nos limites.»

«En termes de volume par semaine, ça variait entre 60 et 100 km selon les coureurs, précise Youssef. On avait des sprints, de la vitesse et une sortie longue qui incluait de l’intensité. On nous conseillait aussi de faire deux ou trois courses à un rythme plus détendu pendant 45 minutes ou 1 heure.»

«La vallée est à toi»

La première course de TSP s’est déroulée en 2014 avec une seule équipe composée de six membres – quatre hommes et deux femmes. Après une pause en 2015, la popularité et la réputation de l’événement ont vite grandi dans le milieu de la course à pied. Cette année, ce sont 43 équipes, venant d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Asie ou d’Océanie, qui se sont retrouvées à la fin du mois de mars.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @THESPEEDPROJECT

La course The Speed Project démarre sur la jetée de Santa Monica, à Los Angeles.

Yamajo était l’une des deux équipes canadiennes à s’élancer de Santa Monica le 29 mars. Il existe un tracé fourni par l’organisation, sur lequel le record a été établi, mais les équipes sont libres d’emprunter la route de leur choix. «On a suivi ce chemin de manière générale, même si on a divergé sur quelques segments. Par contre, les gagnants ont pris un chemin différent à 60%», indique Pierre-Alexandre.

La seule consigne est de ne pas contrevenir à la loi. Pour le reste, les équipes établissent leur parcours et leur stratégie en tenant compte du profil de la course et des capacités de chacun des membres. Pendant que l’un d’entre eux avale le bitume, les autres le suivent à l’intérieur d’un véhicule récréatif.

«On a créé des petits groupes qui prenaient un certain nombre d’heures et de kilométrages, révèle Marjorie. On n’était jamais vraiment refroidis quand on devait courir. Quand on se reposait, on savait que cela allait durer cinq ou six heures. Il y a eu un roulement qui s’est bien passé.»

Et les paysages dans tout ça? Il a d’abord fallu quitter Los Angeles au beau milieu de la nuit. «On passe dans des endroits comme Hollywood, où vivent les gens les plus riches de la planète. Après 100 km, on arrive dans un village où il y a des hillbillies en camion qui t’envoient le doigt et qui ont des chiens qui veulent te manger», raconte Pierre-Alexandre.

Un peu plus loin, c’est la vallée de la Mort, avec tout ce que cela comporte comme mythes et craintes, qui attend les participants. David a trouvé cette section «zen» alors que Youssef regrette qu'«elle soit passée trop vite».

«Autant tu es dans une course, autant tu as l’impression que la vallée est juste à toi, résume Marjorie. De temps en temps, on croisait un autre coureur, mais, de manière générale, c’était à nous. Et puis ça n’a pas été super chaud, peut-être moins que lors des années précédentes.»

Finalement, les 150 derniers kilomètres comportent la majeure partie du dénivelé positif dont le total s’établit à 4500 m.

En 17e place

Les gagnants, une équipe baptisée Blue Ribbon Sports, a fini la compétition en 31 h 15 min. Dit autrement, cela donne une allure folle de 3 min 24 s par kilomètre. Après une belle remontée, les amis de Yamajo ont pris le 17e rang avec un temps de plus de 44 h.

Ils se sont accrochés à leur position en dépit du retour d’une équipe concurrente lors des derniers kilomètres. «C’est notre changement de stratégie avec des petits sprints, parfois de 500 m, qui nous a permis de rester devant. Ils n’ont eu aucune réponse à ça», se félicite David.

Après cette belle aventure sportive et humaine, il est déjà temps de réfléchir à la prochaine fois. Et pourquoi pas un retour à Santa Monica? se demande justement David.

«La première édition, on voulait survivre et la finir. Maintenant qu’on sait ce qu’on peut faire, on se demande si on peut être encore plus compétitifs la prochaine fois.»

La culpabilité est sur le point de se transformer en folle récidive…

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

De gauche à droite: David Joseph, Youssef El Maaoua, Marjorie Jean-Louis et Pierre-Alexandre Cardinal

Une grande famille

Le club de course Yamajo a été fondé en avril 2014 par David Joseph et Daphné Exantus. Tous les deux souhaitaient se préparer pour une course de type Spartan. Grâce à une application, le groupe a commencé à prendre de l’ampleur. Lors des deux sorties hebdomadaires, une quarantaine de coureurs se donne rendez-vous au centre sportif de la Petite-Bourgogne. «L’une des choses que j’apprécie le plus et qui nous rendent assez uniques, c’est notre diversité, dit David. Il y a beaucoup de monde du quartier, mais on a aussi des personnes qui viennent d’autres coins de Montréal. Ces gens-là sont de nationalités et d’origines différentes. La course nous réunit et ça fonctionne pour nous.»