On monte le mont Royal. C’est superbe, comme d’habitude, le temps est doux. Soudain, les cris, les encouragements, des coureurs par centaines qui défilent. Ils sont 1215 au total, de tous les âges, de tous les talents, mais avec une préoccupation commune : l’environnement.

Bienvenue à la course Changer le monde. Un événement organisé par Équiterre et qui se revendique écoresponsable et zéro déchet. On le voit tout de suite avec tous ces gens, tasse à la main, qui s’abreuvent aux grosses bouteilles de la station de ravitaillement. Les collations sont en vrac, le compost et le recyclage, faciles à trouver.

On rejoint Jean-Luc Brassard près du lac aux Castors. « Le » Jean-Luc Brassard, champion olympique en ski acrobatique. Il est impliqué dans l’événement depuis le début, il y a quatre ans. Il a recueilli des fonds, il a fait des dons, il a été ambassadeur, il a couru. Aujourd’hui, il est là pour rencontrer les gens, parler de la cause avec eux.

Il se décrit lui-même comme « climato-découragé ».

« Je ne sais pas comment on va s’en sortir, mais on est là. Aussi bien essayer de faire quelque chose ! Sinon, on ne s’en va pas dans la bonne direction. » — Jean-Luc Brassard

Lui-même n’est pas parfait. Il a encore une voiture à essence, qu’il finira bien par remplacer par un modèle électrique. Il a beaucoup voyagé en avion durant sa carrière. Mais il refuse de rester les bras croisés pour autant.

« Je suis en train de refaire l’isolation de ma maison. On vit dans un climat nordique et on construit comme en Floride, avec peu d’isolation. Nos murs ne sont pas écoénergétiques, mais on a de l’énergie pas chère, donc on ne se pose jamais la question. Je fais aussi des plans pour réduire la consommation d’eau. Pour les petits gestes, quand vient le temps d’acheter quelque chose, j’y pense deux fois. Comme le livre de Pierre-Yves McSween, en a-t-on vraiment besoin ? »

Cette volonté de changer est au cœur de la démarche d’Équiterre et de sa nouvelle directrice générale Colleen Thorpe. Pour elle, quand il est question du respect de l’environnement, le passé ne doit pas être garant de l’avenir.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

« C’est comme si on pensait que comme on a déjà pollué ou qu’on n’est pas cohérent à 100 %, on ne peut pas poser des gestes, explique Mme Thorpe. Il faut lutter contre ça. Chacun peut aller plus loin. On doit lutter contre le cynisme. Le cynique est paresseux, c’est facile de l’être. Ce n’est pas de ça qu’on a besoin, on a besoin de se relever les manches. »

Mme Thorpe cible deux actions, que tous peuvent appliquer tout de suite, et dont l’impact serait immédiat. La première : le transport, que l’on doit privilégier actif ou collectif. Bref, trouver une solution de rechange à la voiture. La deuxième : l’alimentation. Chercher les produits locaux, réduire la consommation de viande, rejeter le suremballage.

Elle se permet aussi de suggérer une implication politique. « Sinon, il n’y aura pas de changements. Ce changement collectif doit se transposer dans des changements systémiques. C’est crucial. »

Avec cette course, elle vise la conscientisation des participants en les confrontant à des solutions de rechange. Les tasses réutilisables, le vrac, le seconde main. Même les médailles sont en fait de jeunes pousses. La course a aussi permis de créer un guide pour des événements écoresponsables, gratuit et offert à tous. Il y a plus de 500 courses organisées par année au Québec qui peuvent s’inspirer de ces pratiques.

Prise de conscience

Retour à Jean-Luc Brassard. On voit que l’ancien champion est renseigné, la cause lui a toujours tenu à cœur. La naissance de son enfant n’a fait que renforcer ses convictions.

« Chaque bouteille prend 3 litres d’eau à faire, lance-t-il. On prend de l’eau potable pour créer du plastique qui va contenir beaucoup moins d’eau. C’est un non-sens total. On se dit, d’abord on va mettre un cône de papier. Mais prendre un arbre qui filtre le carbone, le transformer en papier, c’est comme si chaque gobelet consommait 10 litres d’eau. Pour contenir encore moins d’eau qu’une bouteille de plastique. Un autre non-sens. »

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Laure Waridel, cofondatrice d'Équiterre (à gauche).

Il raconte avec dégoût les images d’horreur que l’on aperçoit parfois dans les événements sportifs d’envergure : les bouteilles de plastique au sol, les sacs de déchets, les postes de ravitaillement transformés en dépotoir.

« On devrait associer environnement et activité physique, mais le marathon est un désastre écologique. Tout ça au nom de quoi ? D’une parcelle de seconde de performance. J’ai été sportif, je peux le dire, ça ne change rien en bout de ligne. » — Jean-Luc Brassard

Brassard poursuit, plus largement. Il parle avec aisance des milieux humides, dont la disparition contribue aux inondations puisqu’ils ne jouent plus leur rôle de « tampon » (Montréal a perdu, d’ailleurs, 85 % de ses milieux humides). Il parle de consommation d’eau.

Il parle de la maison où il a grandi, près d’un marais à la campagne. Il a racheté cette maison et il apporte aujourd’hui un sac à ordures quand il marche dans la nature avec son fils, pour ramasser les déchets. Difficile, donc, devant l’ampleur de la tâche, de se convaincre qu’une seule personne peut y changer quoi que ce soit. Pourtant, Brassard juge qu’il n’a pas vraiment le choix. Qu’on n’a pas vraiment le choix.

« Je me situe où ? La petite fourmi dans l’humanité. Oui, c’est déprimant. Les gens, au-delà du discours politique, veulent faire une différence. Ils ne savent pas trop par où commencer. On se demande comment moi, humain dans un univers d’humains qui se c*lissent de tout, je peux faire une différence. Tu te rends compte que tu peux le faire, en commençant avec une course comme ça. »