Le week-end dernier, Karen Paquin a contribué à la victoire de l'équipe canadienne de rugby à sept lors de l'étape japonaise de la Série mondiale. « Une méchante belle victoire », précise l'athlète de 31 ans, qui venait de passer un an et demi à l'infirmerie en raison d'une blessure à un ménisque. Dans ce texte, la médaillée de bronze aux Jeux de Rio raconte sa convalescence, avec ses hauts, ses bas, ses moments difficiles et ses petites victoires.

Quand j'ai pu courir et refaire des situations de jeu, je me suis sentie comme une petite fille à Noël.

On faisait simplement des deux contre deux sans contact, mais à la fin de l'entraînement, j'avais le sourire fendu jusqu'aux oreilles. C'était en décembre dernier, presque un an et demi après avoir subi une blessure au ménisque qui, dans ma tête, allait se régler en quelques semaines. Elle m'a plutôt empêchée de disputer le moindre match entre août 2017 et mars 2019.

Ça n'a pas été une rééducation comme les autres. Des fois, on te dit que ta blessure va prendre six mois à guérir. Tu donnes alors un gros coup et tu reviens au jeu. Là, il y avait toujours des hauts et des bas. On me disait : « Oh, ne t'inquiète pas, dans trois mois, tu vas être correcte. » Puis, on essayait autre chose, ça ne marchait pas et on me disait : « Dans six ou huit semaines, ça va aller mieux. »

Les moments les plus difficiles, ce sont justement quand ça n'avançait pas et que je n'avais pas de réponses. Tu as alors l'impression d'atteindre un plateau et de ne plus être capable d'avancer. Cela dit, je n'ai pas passé 18 mois à broyer du noir.

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Ma blessure est survenue en Irlande, lors du deuxième match de la Coupe du monde de rugby à XV en août 2017. C'était une déchirure à un ménisque, qui est une blessure assez classique. Sur le coup, je n'étais pas vraiment nerveuse. Je me disais que la rééducation n'allait pas être trop longue.

On a fait une imagerie par résonance magnétique (IRM) et on m'a présenté un choix : me faire opérer rapidement ou essayer de continuer à jouer. Les médecins n'étaient pas forcément très chauds à l'idée que je continue parce qu'il y avait la possibilité que mon genou bloque. Mais ça a tenu le reste du tournoi même si j'avais un peu l'impression de jouer sur une jambe.

En revenant au Canada, je suis allée faire du bobsleigh pendant un mois avec l'équipe canadienne. Un médecin m'a dit que c'était faisable tant que mon genou ne bloquait pas. On a tout de même contrôlé l'enflure avec des anti-inflammatoires.

J'ai adoré cette aventure pour laquelle je n'avais pas de grosses attentes. Mon genou, par contre, n'a pas aimé ça. Courir en ligne droite, ce n'était pas si mal. Mais je ne pouvais m'entraîner ni en force ni en puissance parce que je n'étais pas capable de plier mon genou. Vers la fin des descentes, et alors qu'on avait arrêté les anti-inflammatoires, le genou s'est mis à gonfler comme une balloune.

Ça ne m'alarmait toujours pas. Je suis ensuite allée à Québec, chez PCN Physio, où on a décidé de contrôler l'inflammation et l'enflure sans avoir d'opération. Mais il a ensuite suffi de deux ou trois entraînements pour que le genou se remette à enfler. Finalement, j'ai dû me résoudre à subir cette intervention chirurgicale en octobre 2017.

Je croyais bien que j'allais m'en sortir et démarrer ma route vers un retour au jeu. Mais, encore une fois, il y avait de l'enflure résiduelle et ça continuait à bloquer. On a essayé toutes les solutions, dont des injections de cortisone, mais rien n'a vraiment marché.

Finalement, je suis revenue à Québec et, en dernier recours, on est retourné en chirurgie en août. On a abordé l'opération sans avoir la certitude de trouver quelque chose. Dans ce cas-ci, il aurait peut-être fallu que j'arrête ma carrière. Je ne l'ai pas nécessairement envisagé, mais il se pouvait bien que je sois forcée d'y penser en sortant du bloc. J'étais un peu dans le déni et ça ne me tentait même pas d'y penser avant l'opération.

PHOTO ALESSANDRO BIANCHI, ARCHIVES REUTERS

Heureusement, les chirurgiens ont trouvé une autre petite déchirure qui n'avait rien à voir avec la première. À partir de là, ça a finalement commencé à mieux aller, mais le mal était fait. Il fallait que je revienne après avoir eu un genou enflé pendant plus d'un an. Il y avait aussi la perte de la masse musculaire, du cardio et des habiletés en rugby.

Après la deuxième opération, mon équipe, autant à Victoria qu'à Québec, m'a aidée à faire la distinction entre une douleur normale, qui fait partie du processus, et une douleur pour laquelle il faut arrêter. J'ai ensuite pu commencer à faire un peu de jogging. Ce n'était rien. Je faisais quarante mètres, je prenais une petite pause et je recommençais. J'ai dû réapprendre à courir, sprinter, faire des changements de direction et sauter.

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En mars dernier, l'équipe nationale a participé à un tournoi à Nice. Pour moi, c'était l'occasion de voir si j'étais prête à retrouver le niveau international, sans avoir la pression de la Série mondiale, qui est qualificative pour les Jeux olympiques.

Forcément, tu te demandes si tu es encore au niveau, comme celui de 2015 ou 2016, dans mon cas. J'étais bien consciente que j'allais faire des erreurs que je n'aurais pas faites auparavant, mais j'espérais que mon fitness, ma vitesse et ma vision de jeu seraient au rendez-vous. Avec le GPS, on a bien vu que j'avais les statistiques d'une joueuse internationale.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

J'en ai eu la confirmation lors de la Série mondiale de Kitakyushu, au Japon, la fin de semaine dernière. J'étais peut-être rouillée lors du premier match et j'ai commis des petites erreurs. Il y avait de l'envie, mais ça manquait de technique sur certains aspects. Par la suite, j'ai pris mes repères et retrouvé des automatismes avec certaines coéquipières. Le tournoi a été une méchante belle victoire pour moi et pour l'équipe.

Tout au long du tournoi, j'ai réussi à conserver le focus sur le moment présent et le match suivant. Par contre, au bout de la finale, je me suis laissé envahir par les émotions. C'est avec les larmes aux yeux que j'ai serré mon équipe et célébré la victoire. Je n'aurais pas pu imaginer une meilleure façon de faire un retour au jeu.

Aujourd'hui, je ne dirais pas que je n'ai plus de douleur parce que mon genou n'est pas neuf. Mais je ne le sens pas quand je joue et il n'enfle plus.

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Cette période a été l'occasion de développer une autre partie de mon identité. J'ai pu remettre un pied dans le milieu de l'ingénierie avec une entreprise pour laquelle je travaillais à distance. J'ai également donné des conférences un peu plus régulièrement, dans les écoles, en tant qu'ambassadrice de l'esprit sportif.

Surtout, elle m'a permis d'apprécier encore plus la chance que j'ai de représenter mon pays et de vivre de ma passion. Des fois, tu finis par faire quelque chose par habitude, simplement parce que tu le fais depuis longtemps. Moi, c'est comme si j'avais choisi le rugby une deuxième fois, mais en repartant de la base et en sortant, au passage, de ma zone de confort.

- Propos recueillis par Pascal Milano, La Presse

PHOTO PHILIPPE LOPREZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE