Déjà secoué par le cas de l'entraîneur de ski Bertrand Charest, condamné à 12 ans de prison pour avoir agressé sexuellement de jeunes skieuses, le monde du sport canadien réaffirme sa volonté d'améliorer ses pratiques pour contrer les agressions et le harcèlement à la suite d'une enquête de CBC et Radio-Canada.

Selon des reportages diffusés dimanche par la société d'État, 340 entraîneurs de sport amateur au Canada ont été accusés de délits de nature sexuelle envers des mineurs depuis 20 ans. Parmi ces accusations, 222 ont mené à des condamnations pour des gestes touchant 603 victimes mineures. En date du 25 janvier, 34 dossiers additionnels étaient toujours devant les tribunaux, soutient Radio-Canada.

«Chaque cas est un cas de trop», a réagi Nicolas Gill, directeur général de Judo Canada, hier. «Ça paraît beaucoup pour ceux qui n'ont pas idée du volume de jeunes qui font du sport, d'entraîneurs et de bénévoles impliqués. Le monde du sport dit amateur, c'est gigantesque au pays. Suis-je surpris? Non. Est-ce beaucoup? Ça prendrait des statistiques comparables avec d'autres sphères de la société. Ce serait naïf de croire que le sport est dans une situation différente.»

En poste depuis l'automne 2016, Nicolas Gill dit travailler « quotidiennement » à la mise en place d'un programme d'éducation et de prévention dans le but de donner des outils aux fédérations provinciales et aux clubs.

Ahmed El-Awadi, son homologue à Natation Canada, s'active lui aussi. Il fait partie d'un groupe de travail de Sport Canada visant à soumettre des recommandations pour améliorer les pratiques dans la prévention des agressions sexuelles.

Ses premières recherches feront l'objet de discussions dans le cadre d'une rencontre du ministère fédéral des Sports et de tous les partenaires du milieu, en marge des Jeux du Canada de Red Deer, en Alberta, la fin de semaine prochaine.

«On est en train d'évaluer toutes les options, toutes les façons d'éduquer, les façons de rapporter [les situations problématiques], a indiqué M. El-Awadi. [...] Ça demande beaucoup de recherches. On veut avoir un programme, comme celui de l'antidopage, qui soit suivi par tout le monde et puisse être mis en place tant par les petites fédérations que les très grandes, comme la mienne.»

De la même façon, SPORTSQUÉBEC travaille depuis l'an dernier pour que la reconnaissance des fédérations sportives soit liée à la mise en place d'une politique pour contrer l'abus et le harcèlement dans le milieu sportif. Des victimes de Bertrand Charest avaient réclamé une telle condition au financement.

«Je pense qu'on va atteindre la cible d'ici mars, avril 2020, gros maximum», s'est réjoui le directeur général Alain Deschamps.

Pas étonné du phénomène, le DG est cependant «surpris du nombre d'entraîneurs réellement accusés de délits sexuels» dévoilé par Radio-Canada. «C'est une enquête minutieuse et sérieuse, a-t-il relevé. Enfin, on a de vraies données. On sait on fait face à quoi. Mais est-ce la pointe de l'iceberg? Il y a tous ceux qui ne parlent pas.»

SPORTSQUÉBEC chapeaute 65 fédérations provinciales, dont la taille et les moyens varient beaucoup. «Il y a une difficulté d'arrimage entre la fédération sportive et le milieu, c'est-à-dire tous les clubs et les associations locales», a noté M. Deschamps.

Le DG soutient néanmoins que son organisation a une «obligation [de donner des] moyens» à ses membres. Il cite la plateforme SportBienêtre et la ligne d'aide et d'assistance virtuelle Sport'Aide, mises en place récemment en collaboration avec SPORTSQUÉBEC.

Particulièrement choqué par l'affaire Charest, Alain Deschamps affirme «que tout le système sportif est en éveil présentement» pour contrer le phénomène des agressions sexuelles. «Le statu quo, il n'en est pas question. [...] Il faut que quelque chose change. C'est ce qu'on fait présentement.»

Le hockey le plus touché

Selon Radio-Canada, le hockey, au deuxième rang des sports les plus pratiqués au pays, est le plus touché avec 86 cas de personnes accusées pour un délit sexuel de 1998 à 2018. Cinquante-neuf de ces accusés ont été reconnus coupables. Huit dossiers sont toujours devant les tribunaux.

«Ce n'est pas reluisant, a constaté Paul Ménard, directeur général de Hockey Québec. Pour nous, c'est tolérance zéro dès que nous recevons un message pour ce type de geste ou d'action. On ne prend aucune chance et on retire [l'entraîneur]. L'important, c'est d'agir vite. À Hockey Canada, l'entraîneur est étiqueté, mais ça reste dans le milieu du hockey. Je réalise bien en lisant des résultats de l'enquête qu'on aurait avantage à se le partager entre les différentes sphères du sport. La vérification des antécédents judiciaires fait partie de nos règlements. Notre système est codé à l'intérieur du système hockey.»

Du côté de Natation Canada, les quelque 3500 entraîneurs font l'objet d'une double vérification, par l'Association canadienne des entraîneurs et instructeurs et les fédérations provinciales. Tout cas de nature criminelle est pris en charge par la fédération nationale et rapporté immédiatement à la police. Par ailleurs, une personne externe et indépendante de l'organisation est responsable de mener des enquêtes en cas de plainte.

Selon le directeur général Ahmed El-Awadi, CBC aurait recensé 24 cas de délits sexuels en natation, dont 22 condamnations. Il juge ces chiffres «un peu élevés» et souhaite que le diffuseur public révèle les noms qu'il détient.

«Ils sont peut-être impliqués en natation, mais ne sont pas dans notre base de données, ce qui aurait du sens, a-t-il expliqué. Ils peuvent donner des cours de natation sans être affiliés directement avec nous ou nos partenaires.»

Le suivi des fédérations a également ses limites, fait remarquer Nicolas Gill. Des entraîneurs peuvent travailler dans des clubs ou organismes non affiliés. En France, note-t-il, les sportifs sont tenus par la loi d'évoluer dans une structure fédérée. « À mes yeux, c'est un moyen de s'assurer d'une pratique sécuritaire pour les enfants.

L'élaboration d'un registre national public des entraîneurs délinquants sexuels est une avenue suggérée par deux intervenants dans le reportage de Radio-Canada. Un tel registre soulève des questions sur le plan légal, exposent MM. El-Awadi et Gill. «Il faut se poser la question en ayant les bonnes informations», a précisé le double médaillé olympique en judo.

Cet aspect est l'objet d'une réflexion au gouvernement du Québec. «On discutera davantage de cette question avec mes homologues des autres provinces», a indiqué la ministre déléguée à l'Éducation et responsable du Loisir et du Sport, Isabelle Charest. «On a commencé à en discuter en 2017 à l'échelle provinciale. Nous avons une politique de prévention pour les abus sexuels. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire.»

- Avec la collaboration de Mathias Brunet
, La Presse