(Québec) Guillaume Patry est un pionnier du sport électronique. Il y a 20 ans, il était sacré champion du monde de Starcraft, puis quittait Beauport pour aller vivre en Corée, où il allait devenir une vedette de la télé. La Presse l’a rencontré, fraîchement revenu au Québec. Voici son improbable parcours.

« Des fois, je m’ennuie de l’action. Séoul est une ville où il se passe tout le temps quelque chose, même en pleine nuit. »

Guillaume Patry est assis dans un café du centre-ville de Québec, et dehors tombe une petite neige paresseuse. Cette petite neige, ç’aurait pu être sa vie.

Quand il était enfant, il tripait sur le ski alpin. Il a même fait quatre ans de sport-études sur les planches. C’étaient les années 90, l’époque d’Alberto Tomba. Dans son bungalow de Beauport, Guillaume rêvait de devenir skieur.

Mais un jour, sa vie a basculé. Son père est revenu du marché aux puces avec un ordinateur payé 100 $. « Mon père m’a dit : “Fais ce que tu veux avec ça.” »

Les « sports électroniques » comme on les connaît aujourd’hui n’existaient pas. Oubliez les stades bondés, les bourses de dizaines de millions de dollars, les joueurs encadrés comme des athlètes…

Mais au printemps 1998, un nouveau jeu de stratégie a changé les choses. Dans Starcraft, deux joueurs s’affrontaient dans un décor spatial.

Ce jeu allait créer un engouement sans précédent en Corée du Sud. Et Guillaume Patry, sans le savoir encore, allait jouer un rôle important dans ce nouveau phénomène.

« Oui, c’est vrai que ma vie a une drôle de trajectoire. J’ai quelques regrets sur la façon dont j’ai géré le succès. Mais je ne regrette pas d’être allé là-bas. »

La révélation

Guillaume a tout de suite aimé Starcraft. Le jeu est sorti en mars 1998. À l’époque, il finissait l’école à midi, puis skiait en après-midi. Mais la montagne venait de fermer pour la saison morte. « J’avais du temps. Le jeu était nouveau. Il y a vraiment eu un contexte particulier pour me permettre de devenir bon à ce jeu-là dès sa sortie. »

Son nom ne cessait de monter dans le classement en ligne des joueurs de Starcraft. Un jour, il apprend qu’un tournoi aura lieu à San Francisco. Il s’y rend avec sa mère, termine troisième et empoche un peu plus de 3000 $ US. Guillaume a 16 ans.

Quelques mois plus tard, il remporte un tournoi à New York et touche 10 000 $. C’était à l’époque l’une des plus importantes cagnottes. Il devient entre-temps champion du monde à l’issue d’un tournoi organisé en ligne par l’éditeur du jeu, Blizzard.

Au même moment, Starcraft explosait en Corée du Sud. Les cybercafés ouvraient par milliers. De plus en plus de tournois étaient organisés. Nombre étaient même télédiffusés en direct.

PHOTO ED JONES, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Depuis de nombreuses années, les sports électroniques connaissent un engouement sans précédent en Corée du Sud. 

Pourquoi le jeu a-t-il connu ce succès en Corée ? Patry rappelle que les jeux de type first person shooter – ceux dans lesquels, armé d’un fusil, le joueur tente d’en tuer d’autres – étaient interdits à l’époque en Corée. Starcraft avait donc le champ libre. D’autres personnes ont noté que le pays était alors touché par un important taux de chômage. Les jeunes avaient du temps.

Guillaume Patry n’était même pas en mesure de situer ce pays lointain sur une carte du monde. Mais il était maintenant considéré comme le meilleur joueur nord-américain de Starcraft, le champion du monde en titre, et il voulait partir en Corée du Sud.

C’est là que j’ai commencé à parler d’aller en Corée. Au début, c’était pour trois mois. J’avais 17 ans, alors j’ai dû convaincre mes parents. Ils m’avaient déjà accompagné dans des tournois, ils voyaient que c’était organisé. Ils m’ont fait confiance.

Guillaume Patry

Le champion du monde

Dès son arrivée à Séoul, le Québécois enfile les victoires. Sa plus importante survient en mai 2000, lorsqu’il remporte un prestigieux tournoi télédiffusé, OSL. Aucun autre étranger n’a jamais répété cet exploit.

« À la télé, ils me présentaient comme le champion du monde. Des gens me reconnaissaient dans la rue. C’était vraiment très particulier », raconte Guillaume Patry.

« À Québec, quand j’ai commencé à jouer à Starcraft, c’étaient les nerds qui jouaient. Quand je disais que j’étais bon à ce jeu-là, le monde riait de moi, se souvient-il. Mais quand je suis arrivé en Corée, c’était différent. »

Mais le champion du monde connaîtra rapidement des problèmes. Son éthique de travail a des lacunes.

Pendant cette période, il empoche plus de 100 000 $ par année, des gains jusqu’alors inimaginables pour les jeux vidéo. Il est très jeune et tombe amoureux de Séoul, mégapole effervescente où « il y a toujours des gens prêts à sortir ».

J’étais trop jeune, je n’avais pas assez d’encadrement, j’étais sur la brosse des fois pendant 100 jours d’affilée. C’est l’un de mes gros regrets.

Guillaume Patry

« Mais j’ai eu la chance pendant cette période-là de gagner les tournois télédiffusés en direct. Dès qu’il y avait une caméra, je me réveillais. Les gros tournois du début 2000, je les ai gagnés. Ça a mis mon visage à la télévision. »

Puis, de plus en plus de jeunes joueurs aux réflexes aiguisés ont fait leur apparition sur la scène. Et Patry n’arrivait plus à rivaliser avec eux.

Il prend sa retraite en 2004. Il n’a que 22 ans.

« Starcraft est un jeu très rapide. Aujourd’hui, à 27 ans, c’est le temps d’arrêter, tu deviens un coach. Dans le temps, c’était pire. À 23 ans, tu étais vers la fin. »

Un succès inattendu

Guillaume Patry aurait pu mettre un terme à son périple coréen. Il était déjà à Séoul depuis cinq ans. Mais il décide de rester. Il occupe divers emplois, mais joue surtout au poker en ligne, où il connaît pas mal de succès.

Une décennie plus tard, il est redevenu pratiquement anonyme. Puis, un jour, il reçoit une offre d’une productrice. Elle veut lancer une émission avec 12 étrangers qui parlent coréen et débattent de sujets variés.

« À l’entrevue, il y avait 10 scriptrices et 3 productrices. Je savais que c’était sérieux, mais je ne m’attendais pas au succès que ça aurait. Personne ne s’y attendait, honnêtement. »

Abnormal Summit devient en 2014 un succès fou à la télé coréenne. L’émission se trouve d’ailleurs sur Netflix au Canada. Patry et les 11 autres participants deviennent des stars du jour au lendemain.

« L’émission a duré quatre ans, mais la folie a duré à peu près un an. Je me promenais dans la rue et 60 personnes arrivaient pour prendre des photos », dit le Québécois, qui comptait alors 200 000 abonnés sur Instagram.

Depuis 2018, des producteurs coréens lui ont offert plusieurs autres projets, mais aucun n’a abouti.

Après près de 20 ans en Corée, il a décidé en mai dernier de rentrer au Québec avec sa conjointe coréenne. « Elle adore ça. On est allés en randonnée durant les couleurs au Massif. Ma blonde tripait, on a pris 200 photos. »

Pourquoi être rentré ? Patry voulait se rapprocher de ses parents, qui vieillissent. Il avait aussi de plus en plus de mal avec la pollution de l’air à Séoul.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE GUILLAUME PATRY

Guillaume Patry lors des Jeux de PyeongChang. Surnommée le Blue eyed warrior (guerrier aux yeux bleus) en Corée du Sud, il avait été invité à porter la flamme olympique.

« À Séoul, une journée sur deux, tu ne vois pas le soleil à cause du smog, et ça empire, constate-t-il. Je courais des marathons et je ne pouvais pas m’entraîner pendant des semaines. »

Avec sa blonde, ils ont décidé de rester au Québec deux ans, avant de décider de la suite.

Parfois, Guillaume Patry se demande ce qui serait arrivé s’il avait été « plus sérieux ». Sa carrière de joueur n’a duré que cinq ans, mais lui a tout de même permis de vivre une expérience incroyable.

« C’était impossible de prédire que les sports électroniques allaient devenir aussi gros, dit-il. Il y avait beaucoup moins d’argent à l’époque. La moyenne du salaire du top 1000 des joueurs de League of Legends, c’est 320 000 $. Dans notre temps, le meilleur à Starcraft ne faisait pas ça. »

Regret ou pas, Guillaume Patry a osé. Il est parti à 17 ans à l’autre bout du monde.

« Mon meilleur chum de Québec voulait être un golfeur pro, mais il trouvait que ce n’était pas raisonnable, vu qu’il n’y avait pas vraiment de pros à Québec, raconte Patry. Ben moi, je suis allé jusqu’en Corée pour jouer à un jeu vidéo ! »