Pourquoi courir ? Pourquoi monter jusqu’à 120 km par semaine ou prendre sa voiture pour faire un peu de dénivelé sur le mont Royal ? Et pourquoi s’infliger, à plus de 60 ans, des épreuves à étapes de 1000 km ou des courses de plus de 14 heures sans interruption ?

« Souvent ma blonde me dit que je ne suis pas obligé d’aller dans l’excès pour être en santé, poursuit Jean-Paul Frey, 62 ans, qui participera le 28 septembre aux 100 km de Millau, en France. Mais ça fait partie de ma personnalité et de mon tout. »

D’aussi loin qu’il se souvienne, le Blainvillois a toujours ressenti ce plaisir de bouger. Un père, adepte de cyclotourisme, a instillé ce besoin d’aventure dès son plus jeune âge. L’exercice et la course à pied, qu’il a commencée il y a 42 ans, sont ainsi devenus un « exutoire » à son trop-plein d’énergie. 

Au lieu de faire des thérapies, je passe mon temps à courir.

Jean-Paul Frey

Il court, donc. Sur le mont Royal, dans les Basses-Laurentides, mais aussi et surtout à l’étranger, quand vient le moment de choisir les grands défis. Le premier est survenu en Afrique du Nord, lors du marathon des Sables, dont la distance dépasse les 200 km. « Une belle aventure dans l’Atlas marocain qui m’a confronté à des longues distances dans des conditions difficiles », dit-il. Il y a parfois des accrocs, comme lors du Spartathlon (Grèce) conclu par un abandon, mais rien pour stopper ses ardeurs.

En 2017, par exemple, il faisait partie de la petite vingtaine de participants à se lancer à l’assaut de l’Ultra Corsica, une épreuve de 1040 km et 18 000 m de dénivelé positif. Dit autrement, cela représentait plus de 24 marathons en 17 jours. Au bout du compte, seuls neuf d’entre eux, dont Jean-Paul Frey, ont franchi la ligne d’arrivée.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Jean-Paul Frey participera aux 100 km de Millau, en France, le 28 septembre.

« À tout point de vue, ç’a été ma plus belle expérience. D’abord parce que je l’ai finie, mais aussi et surtout pour l’aventure humaine, raconte l’infirmier, retraité depuis un an. On retrouve une camaraderie assez fantastique entre les coureurs et les coureuses. Pendant 17 jours, on vit en communauté même s’il y a une compétition entre nous. On aide l’autre sur la route quand ça ne va pas et c’est ce qui m’intéresse. »

Alors, revenons à la question initiale. Pourquoi courir ? Pour ça, justement. Pour cette expérience corse. « C’est une façon de voyager et de découvrir de nouveaux endroits. Je n’ai jamais d’objectif particulier de classement. Ce que j’aime, c’est le côté humain et les rencontres que l’on peut faire dans ce genre d’épreuves. »

Ultramarathonien avant l’heure

Jean-Paul Frey a démarré tranquillement par des 5 et des 10 km avant de s’attaquer au marathon de Montréal, dans les années 80. Le Français d’origine a ensuite vu plus grand en participant à ses premiers ultramarathons au début du siècle. « Je faisais partie de l’association Ultra-marathon Québec, qui organisait quelques événements par année. On n’était pas beaucoup dans la famille des ultras. On se retrouvait souvent dans les mêmes départs, les mêmes courses et les mêmes organisations. Ça créait une solidarité. »

Il a depuis participé à bon nombre de compétitions, même si le temps a ses effets implacables. Avant de démarrer une course, il regarde ces petits jeunes, à côté de lui, du coin de l’œil.

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« Je pense traverser le Canada d’ouest en est en solitaire et en autonomie complète », dit Jean-Paul Frey.

« On se dit : “Ben, moi, il y a quelques années, je partais aussi comme ça, de façon un petit peu fougueuse.” Maintenant, je pars sur des bases moins rigoureuses pour garder des forces pour la fin. » 

Avec l’âge, le corps change, le pouvoir de récupération est plus difficile, mais on se connaît un peu plus. Cela dit, la fougue du défi reste ancrée en moi.

Jean-Paul Frey

Après cette course à Millau, il se lancera, l’an prochain, sur les routes d’Espagne (Trans-España) avec une traversée de 1060 km du nord au sud. Les idées se bousculent dans sa tête, même si l’une d’elles l’obsède depuis quelque temps.

« Je pense traverser le Canada d’ouest en est en solitaire et en autonomie complète. Ça fait partie de mes projets, surtout que je vois le temps et les années qui passent. »

Il repense alors à ce coureur de 75 ans qu’il avait croisé, il y a une décennie, dans les derniers kilomètres du marathon de Québec. « J’avais plus de 50 ans, à l’époque, et je me suis dit que j’aimerais bien encore courir à son âge. Rencontrer des gens comme ça, ce sont des moments magiques. »