Une peinture du Kilimandjaro, avec des Massaïs au premier plan, est accrochée au mur du salon. Dans le couloir et dans la cuisine, deux cadres montrent des enfants que Manon Fleury a croisés en Afrique. Bien des éléments dans la décoration rappellent sa parenthèse tanzanienne, de 2007 à 2015, au cours de laquelle elle a créé le premier centre de secours pour enfants maltraités en milieu familial.

Ce décor a temporairement pris des allures plus sportives avec un vélo posé dans le couloir ou un ballon d’étirement casé contre la table. Demain, elle s’apprête à faire « de quoi de vraiment pas brillant ». Demain à l’aube, elle prendra le départ de son premier Ironman, soit 3,8 km de natation, 180 km de cyclisme, puis un marathon.

« C’est un gros contraste, reconnaît la femme de 52 ans. Les 10 ans que je venais de vivre [en Tanzanie], c’était pour m’occuper des besoins de tout le monde sauf des miens. L’Ironman, c’était une année de moi, moi, moi et moi. C’est très égocentrique », reconnaît Manon qui nous reçoit dans son logement de Saint-Jean-sur-Richelieu.

C’est bien connu, bien des chemins peuvent mener à l’inscription à un triathlon aussi exigeant. Dans le cas de Manon, la pratique du sport puis la perspective de cet Ironman étaient une réponse au choc culturel qui a accompagné son retour au Québec. Après quasiment une décennie en Tanzanie, les choses ne se sont pas passées comme prévu.

On m’avait dit que le choc allait être gros, mais je ne le croyais pas parce que je retrouvais mon pays, mes températures, ma bouffe, ma famille, mes amis… […] Or, ça m’a pris énormément de temps pour essayer de revenir [mentalement] ici.

Manon Fleury

« Par rapport au tiers-monde, je trouvais la vie d’ici assez ordinaire et très superficielle. Je ne voulais pas faire partie de ça, mais il n’était pas question que je retourne là-bas. J’étais comme dans le néant. »

« Plus grand que moi »

Pendant neuf mois, elle est restée chez une amie. Elle a compris, au fil du temps, qu’il lui fallait trouver quelque chose d’autre pour avancer. Afin de se sentir mieux « mentalement et psychologiquement », elle a opté pour le sport en se joignant au Tribut Triathlon à Saint-Jean. Elle s’est rapprochée, par la force des choses, d’autres membres qui avaient déjà participé à un Ironman.

« Au début, je pensais que je ne ferais jamais ça de ma sainte vie, mais c’est un défi beaucoup plus grand que moi. On est à l’aube de l’événement et je ne suis toujours pas certaine si je vais être capable de le faire. C’est gros, c’est physique, c’est exigeant, mais j’avais besoin de m’accrocher à quelque chose. Je savais que le sport m’aiderait. »

Comme pour les autres participants, la dernière année a été remplie d’entraînements, de traitements, de répétitions sur place ou de tests lors d’autres épreuves, plus courtes, au Québec. Et, comme pour bien des participants, les derniers jours ont vu grossir les doutes. Elle se demande si elle sera assez rapide au terme de la portion à vélo.

Je n’ai jamais couru après 180 km de vélo. J’ai fait les parcours à Tremblant et je ne me serais pas vue courir après. Là, demain, on aura nagé, pédalé et couru. Je ne sais pas comment ça va aller. On m’a dit qu’il faut faire confiance à l’entraînement et à la magie de la journée.

Manon Fleury

En guise de motivation, elle n’aura qu’à penser à ses parents et amis parfois venus d’aussi loin que l’Europe. Il y a aussi le centre en Tanzanie qu’elle aidera à travers l’événement. Par la commandite de kilomètres qu’elle parcourra demain, elle espère récolter 5000 $. Dit autrement, il s’agit du financement des frais médicaux et psychologiques pour une durée d’un an. « C’est l’aspect qui vient contrebalancer l’égoïsme de toute l’année. »

« C’est un appel »

L’aventure africaine de Manon a démarré en 2005 lors d’un séjour de deux mois dont la moitié passée en tant que bénévole à Mwanza. Face à la réalité sociale de cette ville, située sur les rives du lac Victoria, elle a failli craquer dès les premiers jours. Mais tout a changé en cours de route et notamment au moment de rentrer au Québec.

« Je me suis retrouvée à l’aéroport avec une couple d’enfants qui m’escortaient. Je ne voulais plus revenir. »

Honnêtement, je ne sais pas ce qui s’est passé. Je suis revenue au Québec, mais ce n’était plus pareil. Je pense que c’est un appel.

Manon Fleury

« Ce n’était pas dans mes plans de vie. J’ai démarré une fondation et je suis repartie deux ans plus tard. »

La Fondation Karibu Tanzania, avec ce premier centre de secours en Tanzanie, a une triple mission : l’accueil d’enfants maltraités, les thérapies pour les agresseurs et la prévention à travers la communauté. En démarrant le projet, Manon avait déjà un calendrier en tête avec un retour au Québec prévu en 2015. Elle voulait aussi que des Tanzaniens s’impliquent dans un dossier particulièrement tabou.

« Il fallait que je me bâtisse une équipe de Tanzaniens et que, moi, je reste en arrière. Je ne devais pas être en avant puisque je savais que je revenais en 2015. Par ailleurs, il ne fallait pas que les gens pensent que l’argent nous sortait par les oreilles parce que la dame blanche était là. Il fallait qu’eux réalisent ce qui se passe, prennent des responsabilités et trouvent des solutions. Ma réussite, c’est que le centre continue de fonctionner quatre ans après mon départ. »

La parenthèse africaine a été riche en enseignements. Certains aspects, malgré le contraste des deux expériences, lui ont même servi durant sa préparation.

« En Tanzanie, il fallait que je m’accroche aux petits bonheurs et avoir un peu de reconnaissance pour la plus petite des choses. L’entraînement pour un Ironman, c’est la même affaire. On peut être écœurée, mais on se dit : “Eh, je n’ai pas mal à mon épaule ou je respire bien aujourd’hui. C’est merveilleux.” Quand tu penses que tu n’es plus capable, tu es en fait toujours capable d’un petit peu plus. »