Martin Trahan a traversé le Canada en 2015 avant de s’attaquer au fleuve Yukon l’année suivante. En 2018, il a mis le cap sur les États-Unis, qu’il a traversés de l’Oregon à la Floride. Aussi riche en souvenirs soit-elle, cette dernière expédition a été suivie d’un pénible retour à la maison. Dans ce texte, l’homme de 38 ans raconte sa dépression post-expédition, son trouble de stress post-traumatique et présente son nouveau grand objectif.

« Je n’étais pas là du tout cet hiver. J’étais triste, tout croche et la vie sur l’eau me manquait. Après mon aventure, j’avais l’impression de revenir dans un monde qui ne me ressemblait pas. C’est comme si ma vie dans la marge, en canot, était devenue mon vrai environnement. D’ailleurs, je dis souvent que je me rapproche du bonheur une aventure à la fois.

Il y a des gens qui vont appeler ça le blues post-expédition. Je pense plutôt que le vrai terme, à assumer, est dépression post-expédition. Quand on en parle, on voit le regard de certaines personnes changer. C’est rare qu’on se vante et qu’on dise : “Eh, savez-vous quoi ? Je suis en dépression, ça ne va pas.” Avec les réseaux sociaux, on essaie de se montrer sous son meilleur jour, mais j’ai toujours voulu que monsieur et madame Tout-le-Monde se retrouvent à travers moi. Je ne veux pas projeter l’image d’un surhomme ou d’un héros.

Alors, cette année, j’ai accepté l’inévitabilité de la dépression post-expédition. Je me la suis longtemps cachée à moi-même. Plusieurs aventuriers vivent ça, mais c’est tabou. Ils n’en parlent pas, ils le gardent pour eux, peut-être craignent-ils le regard des autres.

PHOTO PAUL BOUCHER, FOURNIE PAR MARTIN TRAHAN

L’aventurier Martin Trahan durant une expédition

Les aventuriers sont perçus comme des gens braves, courageux, inébranlables, forts et qui relèvent des défis insurmontables. Lors de mes premières expéditions, je suis rentré un petit peu dans le moule et j’ai essayé de projeter cette image-là. Finalement, je me suis rendu compte que, moi, je n’étais pas comme ça.

Quand je finis une expédition, je suis toujours partagé entre l’euphorie d’avoir atteint mon but et l’épuisement. La question que l’on me pose souvent, c’est : “What’s next ? Quelle est ta prochaine épopée ?” Mais, en fait, l’aventure que je viens de vivre n’est pas encore finie. Le retour à la maison en fait partie et c’est, pour moi, la portion la plus difficile. Elle est bien plus compliquée à gérer que la planification, les tempêtes ou les conflits avec les coéquipiers. C’est une sorte de sentiment de vide.

L’hiver a été long, gris et froid à Montréal. Je me sentais bien seul. J’ai prêté l’intention aux autres de ne pas comprendre ce que je vivais. Nos amis sont fins et ils veulent nous aider, mais j’ai l’impression qu’ils ne saisissent pas toute la noirceur qui peut nous habiter. C’est même plus que ça, c’est une forme de tristesse qui est inexplicable. Je me suis plusieurs fois demandé cet hiver : “Martin, qu’est-ce qui ne va pas ? Tu es revenu à la maison, tu as retrouvé les gens que tu aimes, tu as le confort de ton lit et de la bonne nourriture.”

Mais quand tu passes autant de temps dans un canot, dans une tente et que la forêt est ta maison, ça devient ton identité.

Avant, j’étais Martin l’ami, le technicien en travail social, mais maintenant, je suis devenu Martin le canoteur et l’aventurier. C’est un mode de vie tellement différent qu’il est nécessaire d’avoir une période d’adaptation lors du retour.

PHOTO JAY KOLSCH, FOURNIE PAR MARTIN TRAHAN

L’aventurier Martin Trahan durant une expédition

Je sais que cette période va toujours accompagner mes prochaines expéditions et que ce sera la partie la plus difficile. En le sachant, ça permet de l’accepter.

Je n’ai pas eu que cette dépression post-expédition à la suite de ma traversée des États-Unis du Pacifique à l’Atlantique. J’ai aussi fait face à l’ouragan Michael près de Panama City, en Floride, ce qui a engendré un trouble de stress post-traumatique.

Sans exagérer, c’est la première fois où j’ai accepté, pendant 15 minutes, que ma vie allait se terminer. J’étais totalement impuissant face à la toute-puissance de dame Nature. J’aurais dû mettre fin à mon expédition tout de suite après l’ouragan, mais peut-être pour une question d’ego, je suis retourné sur l’eau. J’étais tellement zombie. Je suis passé en mode survie.

À mon retour, je pensais être équipé et bien entouré pour faire face à la situation, mais ç’a été une erreur. Je me rappelle une journée où il y avait un fort vent. Je suis sorti de mon auto pour aller magasiner, mais mon réflexe a été de rentrer immédiatement. Je me suis dit : “Relaxe, Martin. Tu es au Québec, il n’y a plus de danger. Ça va, tu es en post-trauma de l’ouragan.”

Je me réveillais aussi en sueur lors des premières nuits au Québec. J’avais l’impression qu’il y avait un ouragan et des requins dans mon lit. À la suite de l’ouragan, je suis retourné pagayer dans le golfe du Mexique et il y avait des requins partout. J’ai vite vu que j’en avais une phobie.

La façon dont j’ai géré ma dépression et mon post-trauma a été de me lancer dans le travail à fond. Je pense que j’ai fait 350 ou 400 heures supplémentaires. C’était une façon de me cacher et de ne pas faire face à ce que je vivais.

Je pensais laisser retomber la poussière durant l’hiver tout en sachant que je devrais ensuite chercher de l’aide par rapport à ça. Je veux maintenant m’assurer d’être sur la bonne voie.

Direction la Russie

À travers le vide ressenti cet hiver, j’ai compris deux choses : je suis devenu dépendant à ce mode de vie, en expédition, et je me sens bien quand je suis habité par un projet.

Il y a six mois, j’avais pourtant dit que j’étais trop vieux pour les grosses expéditions et que j’allais accrocher ma pagaie. J’avais de la misère à me projeter 24 heures plus tard, alors je ne pensais pas à la planification d’une prochaine aventure. Mais le printemps est arrivé, la neige a fondu, les cours d’eau se sont libérés de leurs glaces et mon énergie est revenue.

Chassez le naturel et il revient au galop. Je me suis remis à rêver et, après plusieurs recherches, j’ai décidé de me lancer dans une nouvelle aventure.

IMAGE JAY KOLSCH, FOURNIE PAR MARTIN TRAHAN

Le parcours qui devrait être suivi lors de l’expédition
en Russie en 2021

Je vais faire la traversée de la Russie en 2021 et parcourir 4000 km en 125 jours. On commencerait à la frontière de la Mongolie, dans la rivière Selenge, qui va nous amener dans le lac Baïkal. Après, on prend la rivière Angara qui, un peu plus au nord, rejoint la rivière Ienisseï. On finirait dans la mer de Kara, dans l’océan Arctique.

La Russie m’a toujours intrigué et sa grandeur me permet de faire de longues expéditions. Non seulement c’est la traversée de la Russie, mais aussi de la Sibérie dont on entend parler dans nos livres d’histoire et dans les films. C'est l’un des endroits les plus reculés de la Russie.

Il n’y a pas de meilleur moyen pour découvrir un pays que de suivre les voies navigables. Les aventures permettent de faire des rencontres magiques. Elles me permettent aussi de me sentir vivant comme jamais. »

— Propos recueillis par Pascal Milano

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