Entre le dénuement et le grand confort, l'ex-haltérophile Maryse Turcotte en a vu de toutes les couleurs au cours de sa carrière. Conclusion de notre dossier sur les revenus des athlètes dans le sport amateur.

En 10 ans sur la scène internationale, l'ex-haltérophile Maryse Turcotte a connu les deux mondes: la presque pauvreté et le grand confort. Elle se demande si les athlètes actuels réalisent leur chance. «Les athlètes n'aimeront pas m'entendre dire ça, mais aujourd'hui, c'est le luxe total», dit la résidente en médecine, en congé de maternité depuis la naissance de son premier enfant, le 3 septembre.

Turcotte est bien placée pour mesurer la progression. À ses débuts, elle n'avait aucun revenu, l'haltérophilie ne faisant pas partie des fédérations visées par le Programme d'assistance aux athlètes de Sport Canada. Ses deux premiers Mondiaux, elle les a autofinancés. Avec l'aide de sa mère, de son oncle, de sa grand-mère, d'amis à l'école et de petites bourses grappillées à gauche et à droite.

Pour payer ses études universitaires en diététique, elle lavait la vaisselle dans un CHSLD de Verdun. Sa mère lui donnait 40$ pour faire l'épicerie. Elle ne s'achetait ni yogourt ni fromage. Trop cher. «Je me limitais au strict minimum. C'était fou. Je vivais peut-être à 8000$ par année», dit la femme de 35 ans.

Turcotte faisait une heure et quart d'autobus et de métro entre son entraînement à Brossard, le travail et l'université le soir. «J'étais brûlée en permanence. C'est la période où j'ai le moins dormi de ma vie», dit-elle au téléphone en allaitant son petit Louis.

Heureusement, l'haltérophilie est parmi les sports les moins chers et Turcotte est loin d'être dépensière. Elle ne garde aucun regret de cette période.

Sa vie a quand même changé quand elle s'est classée quatrième aux Championnats du monde de 1998. En vertu de ce résultat, Sport Canada a accepté de la financer sur une base individuelle. Elle devait quand même maintenir le niveau pour conserver la subvention. Les résultats de Turcotte ont permis à la fédération canadienne de revenir dans les bonnes grâces de Sport Canada. Aujourd'hui, neuf haltérophiles reçoivent un brevet mensuel de 900 ou 1500$.

Turcotte s'est révélée au grand public avec cette quatrième place aux Jeux olympiques de Sydney.

Il y a eu l'aide providentielle de Sac magique par l'entremise de la Fondation de l'athlète d'excellence. Peu après, le brevet de Sport Canada s'est bonifié avec le passage de Denis Coderre au secrétariat au Sport amateur. Richard Legendre a créé Équipe Québec. Avec le crédit d'impôt remboursable déjà existant, cela représentait 10 000$ libres d'impôt. Autre grand avantage, les 20 000$ destinés à l'entraîneur. Comme par magie, des commanditaires privés se sont manifestés sans que Turcotte ne les sollicite. La Coop de l'UQAM lui a donné 10 000$ par année pendant quatre ans. La firme comptable Demers Beaulne l'a aussi appuyée. Sans compter les programmes de commandites généraux destinés aux athlètes olympiques.

«Si on fait attention à nos affaires, on n'a pas besoin de manger de Cheez Whiz», dit Turcotte.

La manne était telle que Turcotte a volontairement décidé de ne pas soumettre sa candidature pour certaines bourses, sachant pertinemment qu'elle les obtiendrait. Elle songeait à ses collègues moins choyés en se disant: «O.K., est-ce que ça a du bon sens?» «J'ai réalisé que quand on a de l'argent, on peut en avoir beaucoup», souligne-t-elle.

L'accès aux services s'est aussi considérablement démocratisé avec, entre autres, la création du Centre national multisport de Montréal et le programme À nous le podium.

À la réflexion, Turcotte se demande si le gouvernement ne devrait pas distribuer l'argent différemment. Pour aider un plus grand nombre d'athlètes, et à des niveaux différents. Ou financer carrément d'autres secteurs. «Il faut penser à nos priorités.»

Et gare à qui voudrait se plaindre: «Le brevet, ce n'est même plus une question de l'avoir ou pas, soulève Turcotte. C'est rendu un acquis. Les athlètes ne réalisent pas comment ils sont chanceux d'avoir ça. J'entends des commentaires et parfois ça me fâche. C'est rendu fou un peu. Chacun a son psychologue, sa nutritionniste, son ci, son ça. Ça ne finit plus. Le sport est rendu où?»