La doyenne de l'équipe nationale d'escrime n'est pas très connue au Canada, son pays d'adoption, mais elle est une star en Chine : il y a 24 ans, aux Jeux de Los Angeles, Luan Jujie a remporté l'une des toutes premières médailles d'or de l'histoire chinoise.

Depuis, pas une année olympique ne passe sans que les médias chinois ne fassent un détour par Edmonton, où la fleurettiste a émigré en 1989 et vit toujours avec son mari Gu Dajin et leurs trois enfants. «Je suis la seule médaillée d'or olympique chinoise en escrime. C'est pour ça qu'ils reviennent», explique Luan en souriant.

Cette année, les journalistes ont été plus nombreux que jamais à cogner à la porte du club d'escrime qu'elle dirige dans la capitale albertaine - et pour cause. Il y a un an et demi, Luan a décidé de revenir à la compétition. À 50 ans.

«Je me suis dit que ça pourrait être mon cadeau de fête», dit l'escrimeuse, qui s'est justement envolée vers sa ville natale de Nanjing le 14 juillet, jour de son 50e anniversaire de naissance. «J'en ai parlé à mon mari et il m'a dit, «vas-y, essaie, tu n'as rien à perdre : tu as déjà gagné une médaille d'or olympique. Si tu réussis, tant mieux. Sinon, tu auras au moins essayé.» Et j'ai réussi!»

Luan, qui a aussi participé aux Jeux de Séoul, en 1988, avait déjà fait un premier retour sous les couleurs canadiennes en 2000, aux Jeux de Sydney. Elle avait été sortie en première ronde.

Huit ans plus tard, la route vers Pékin a été longue et ardue. Au printemps 2007, elle n'a récolté aucun point lors de ses trois premières compétitions comptant pour la qualification olympique, en Corée, en Chine et au Japon. «Mais je sentais que je m'améliorais», raconte-t-elle.

De fait, elle a ensuite obtenu de meilleurs résultats lors de compétitions tenues sur le continent américain. Mais elle a frappé le mur en juillet 2007, quand la Fédération canadienne d'escrime a exigé qu'elle s'entraîne pendant un mois à Montréal, avant les championnats panaméricains de Mont-Tremblant. «J'avais beaucoup voyagé et dépensé beaucoup d'argent tout en devant m'absenter du travail. J'ai trois enfants de 16, 14 et 10 ans et la plus vieille a le syndrome de Down. Un mois à Montréal, c'était trop long pour moi.»

«Mais ils m'ont dit, si tu veux aller aux JO, tu dois venir à Montréal. Sinon, tu es hors de l'équipe, reprend-elle. J'étais à un camp d'entraînement provincial et j'avais jusqu'à minuit le jour de ma fête pour me décider. Mon mari m'envoyait des courriels et me téléphonait. Il me disait, «tu dois le faire, tout le monde en Chine sait que tu reviens pour les Jeux. Tu ne peux pas abandonner. Tu dois t'entraîner.»«

Elle a fini par se rendre à ses arguments. Sage décision : elle a gagné le bronze aux Panams. Elle était lancée. «Je ne voulais plus abandonner. Cette année, en février et mars, j'ai fait six épreuves de la Coupe du monde en Europe et je me suis qualifiée.»

Son retour olympique n'est pas passé inaperçu en Chine, où elle continue de jouir d'une immense réputation, même si elle vit au Canada depuis près de 20 ans (elle en a obtenu la citoyenneté en 1994). Venue à l'escrime sur le tard, à 16 ans, cette ancienne joueuse de volley s'est fait remarquer pour la première fois au championnat du monde junior de 1977. La lame du fleuret d'une adversaire russe s'était cassée et fichée sous le biceps de son bras gauche, celui qui tient son arme. Malgré la blessure, elle avait poursuivi la compétition jusqu'au bout, remportant une médaille d'argent.

Depuis, sa vie a fait l'objet d'un livre et d'un film à succès. Son visage orne un timbre et, en 1999, elle a été choisie parmi les 50 plus grands athlètes chinois du premier demi-siècle de la République populaire. «À Nankin, elle est comme Wayne Gretzky peut l'être au Canada», dit Danek Nowolsielski, directeur de la haute performance de la Fédération canadienne d'escrime.

L'increvable Gordie Howe, retraité du hockey à 52 ans, est sans doute une meilleure analogie pour Luan, qui semble 10 ans plus jeune que son âge véritable. «Quand j'ai repris l'entraînement, je me sentais vieille, dit-elle. Il fallait que je me repose le lendemain de mes entraînements. Maintenant, je me sens comme si on était en 2000. Je ne me sens pas vieille.»