La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Michel*, 70 ans

Michel* a eu trois coups de foudre dans sa vie. Trois femmes avec qui il a vécu à trois moments de sa vie une sexualité heureuse, épanouissante, explosive. Or voilà que la dernière est gravement malade. D’amoureux, il est désormais proche aidant. Et ça n’ira pas en s’améliorant.

« Je suis en manque, on ne se fera pas de menteries », finit par confier notre interlocuteur, 70 ans bien sonnés, au bout d’une heure de récit sur sa vie, ses aléas, ses hauts et ses (douloureux) bas.

Il faut dire que notre interlocuteur s’est senti drôlement interpellé par le témoignage récent d’un certain François*, aux prises avec une grande et inavouable « solitude sexuelle ».

Lisez l’article « La solitude sexuelle de l’aidant naturel »

« J’ai eu l’impression que c’est moi qui l’avais écrit », nous dit l’homme à la caméra, en entrevue virtuelle depuis sa région éloignée. « Je me voyais. » S’il vit une solitude semblable, il tire quant à lui des conclusions tout autres de sa situation. On se souvient que François ne voyait pas de lumière, que de la détresse à son douloureux état. Pas Michel.

Michel a commencé sa vie sexuelle sur le tard, après avoir été agressé par un proche à 14 ans. « Ce n’était pas sain. Certain que j’étais perturbé. Mais j’ai mis ça dans une case. Pas le choix… »

À l’époque, on ne parlait pas de ces choses-là. Et puis il attend d’avoir 20 ans avant sa première « amie régulière », comme il l’appelle. Suivent quelques fréquentations sans histoire, avant de tomber sur son tout premier et grand coup de foudre, la mère de ses enfants. Il a la mi-vingtaine, et leur aventure va durer 35 ans.

Je suis l’homme d’une seule femme à la fois.

Michel, 70 ans

Il le dit à répétition, tout au long de son récit en dents de scie.

« Ça a été un grand amour, dit-il, et on a été très actifs 20 ans. » Ils faisaient l’amour plusieurs fois par semaine et « alimentaient » beaucoup leur intimité. « Tout le temps, dit-il, on se payait des activités, des gardiennes. » Sa philosophie : « tant que le couple tient, la famille tient ». « On a fait notre jeunesse ensemble », résume-t-il en souriant.

À preuve : pour leur 10e anniversaire de mariage, ils se sont mutuellement offert « un échange », raconte Michel. « Dans un bar, je lui ai offert un homme, elle une femme. » Et ils sont partis chacun de leur bord. Au sortir de l’aventure, ils se sont demandé : « Comment tu as trouvé l’exercice ? Adoré. On répète ? Non ! » Point à la ligne, raconte-t-il en riant.

« Et notre sexualité a redécollé. » Par la suite, ils ont en réalité reproduit l’expérience une fois par année, « mais ensemble, précise-t-il. Juste pour dire. Ça donnait un renouveau ».

Puis, au bout de 20 ans de vie commune, convient-il, « la routine s’est installée […], les responsabilités, le travail… » Jusqu’à ce que, fin cinquantaine, sa conjointe meure subitement d’un grave accident de santé.

« Ça fesse dans le dash… » Son visage s’assombrit à l’écran. Michel passe un gros hiver seul, jusqu’à ce que ses filles le secouent : « C’est assez », et il se retrouve inscrit aussi sec sur un site de rencontres.

Un an plus tard, notre « jeune veuf » rebondit : « Mon deuxième coup de foudre », sourit-il de nouveau. Madame a 10 ans de moins que lui, « elle est magnifique ». Il s’en souvient encore : à peine rentrés à la maison, leurs vêtements disparaissaient « comme dans les films ». « Les relations sexuelles pouvaient durer 10, 11, 12 heures ! s’émerveille-t-il. Ça n’avait pas de bon sang. J’ai adoré cette période. » Puis, sans crier gare, la réalité de leur écart d’âge le rattrape. « On n’était pas à la même place. » Alors ils se séparent. C’est la fin d’un chapitre.

Début soixantaine, revoilà Michel sur les sites de rencontres. Re-coup de foudre avec une « magnifique dame », sa conjointe actuelle cette fois. C’était il y a sept ans.

Sans transition, il enchaîne avec son récit : « La première soirée, j’ai découvert une bête de sexe ! […] Elle avait eu beaucoup d’hommes dans sa vie, je ne veux pas le savoir, mais chose certaine, ils l’ont amenée à moi ! »

C’est explosif. « Tout y passait, les sex toys, toutes les raisons étaient bonnes. » Jour deux, madame lui confie qu’elle a une maladie. C’est dégénératif. Ça n’ira pas pour le mieux.

Je ne connaissais pas ça. J’ai dit : OK ! C’était un coup de foudre ! T’acceptes, et tu gères le reste !

Michel, 70 ans

En fait, nuance-t-il, « ça se gère très bien, jusqu’à ce que ça ne se gère plus… »

Les premières années, rien n’y paraît. « Elle vivait à 200 à l’heure. » Lui ? « À 150, répond-il. Elle sait qu’elle va mourir. Pas moi. »

Et puis, tout à coup, il y a un an très exactement, tout a basculé. « Elle ne me reconnaissait plus. Ni ses enfants. » Pensez psychose, hospitalisation, médication. On imagine à peine l’angoisse. « Avec les antipsychotiques, j’ai retrouvé ma conjointe, poursuit Michel, mais je l’ai perdue physiquement. »

Il explique : « Je la lève le matin et je la couche le soir. Sa libido est morte. La sexualité : cela fait un an que c’est à off. Un long fleuve tranquille. Ce n’est pas facile, parce que je suis un homme à une femme », répète-t-il.

C’est arrivé du jour au lendemain. Bien sûr, il ne lui en veut pas. « Je la comprends ! Je ne peux pas lui en vouloir ! » Mais il est lucide. Et il le dit : « Je me débarrasse de mes non-dits : je sais qu’elle va se retrouver en résidence dans pas long, et je ne peux pas la suivre. C’est un deuil, hein ? »

Il ne s’en cache pas, il compense son manque avec des jouets. Il a même commencé à parler avec elle de l’après. « Je l’ai avisée que je vais sûrement rencontrer d’autres personnes. Je ne suis pas fait pour être seul. […] Ma conjointe, je sais que je vais la perdre, c’est écrit dans le ciel. […] Et la nature humaine est là. »

On comprend qu’il refuse de mettre une croix sur sa vie à lui. « Absolument. Quand elle sera en résidence, ce sera un point de départ. Je ne peux pas passer ma vie à attendre… rien ! »

Quand on lui fait remarquer qu’il ne ressemble finalement pas du tout au François cité plus tôt, il s’explique : « Je me retrouve dans son histoire, sauf la fin. Moi, la suite, je la connais. Il faut l’appréhender. La vie continue », conclut-il, tout à coup les yeux pleins d’eau.

*Prénoms fictifs pour protéger leur anonymat.