La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Vincent*, mi-soixantaine.

Il a passé 40 ans de sa vie avec une femme. Eu plusieurs enfants. Puis fini par se brancher, et oser être qui il est : un homme gai. Et il ne regrette rien.

« Aujourd’hui, j’ai au moins la certitude de vivre tel que je suis », nous a écrit dernièrement Vincent, réagissant au témoignage d’un certain Mickaël*, au coming out tout aussi tardif, mais au contraire « amer ».

Souvenez-vous : ce dernier, fin cinquantaine, conseillait au contraire aux hommes de sa génération de « fermer [leurs] gueules [et de] rester dans le placard ».

Lisez l’article « Un coming out amer »

« Je trouve triste son cheminement. […] Je lui souhaite la sérénité, un sentiment très précieux que j’ai acquis depuis ma sortie du placard. »

Rencontré dans un St-Hubert des Cantons-de-l’Est, Vincent, souriant sexagénaire à la barbe blanche et aux yeux rieurs, n’a jamais eu le moindre doute. Sans pour autant oser se révéler. Pas avant tout récemment, en fait. À son plus grand soulagement.

« J’ai toujours su que j’avais une attirance pour les hommes. Depuis mon plus jeune âge, dit-il, attablé tout sourire devant une bière. Mais je n’ai jamais voulu y croire. »

« Faire comme tout le monde »

Pendant près de 60 ans, donc, Vincent a essayé de « rentrer dans le moule ». Alors il a eu une première copine. Puis une deuxième. Puis il a rencontré la mère de ses enfants, à 20 ans. « Et on a passé 40 ans ensemble. On a eu une belle vie. On ne s’est jamais chicanés ! »

Au lit ? « On était les deux vierges, alors on a consommé après le mariage, comme tout bon couple chrétien, croyant et pratiquant. »

Dans sa tête, il se dit que cela va « régler le problème ». « Je vais faire l’amour avec une femme, avoir des enfants, une famille, une bonne job, et je n’aurai plus cette crainte-là, je vais passer à autre chose… »

Et ça a marché un temps : 10 ans. S’il prenait son pied ? « Oui, dit-il en souriant. Ah ben oui ! Ça a été très bon ! Mais, parce qu’il y a toujours un mais, à tout bout de champ, le désir d’un homme me revenait. »

À tel point qu’il a fini par consulter. « Pas pour qu’on me change, précise-t-il, mais pour qu’on me comprenne. » Verdict ? « Tu ne tromperas jamais ta femme, lui affirme le psy, tu l’aimes trop… »

Mais juste le fait d’en parler m’a enlevé énormément de pression…

Vincent, mi-soixantaine

À peu près à la même époque, il finit par tout « avouer », dit-il, même s’il n’aime pas le mot, à sa femme. Beaucoup de larmes plus tard (« ça a été terrible »), elle l’a accepté. Et a surtout « décidé de continuer à le rechoisir », résume-t-il. « Et ça nous a permis de faire un cr… de bout de chemin. Mon secret, je ne le portais plus tout seul. Juste le fait qu’elle le sache et m’accepte, ça me libérait ! »

S’ils couchaient toujours ensemble ? Mieux : ils prenaient régulièrement des bains coquins, et il était même du genre à la surprendre à la Saint-Valentin. « On avait une belle vie sexuelle ! », assure-t-il. « J’étais bien avec elle, mais malgré tout, j’avais un vide. Un vide non pas sexuel, mais sentimental. […] Mais je ne voulais pas qu’elle soit malheureuse parce qu’elle avait marié un gai. »

Les années passant et les dépressions se succédant, Vincent finit par se rendre à l’évidence : « Ça n’a pas de bon sens, dit-il. J’étouffe… » Il approche la soixantaine et il le sait : « J’ai une décision à prendre. »

Mais avant, il souhaite en avoir le cœur net. Et pour ce faire, pour la première fois de sa vie, à 60 ans sonnés, donc, il cogne à la porte d’un ami gai. « Il a été un bon prof », dit-il en souriant, énigmatique. Une soirée suffit pour confirmer ce qu’il sait depuis toujours.

Oser l’honnêteté

Depuis ? Vincent s’est séparé, a divorcé (« et ça a été difficile, très difficile »), puis pris un petit trois et demi. Avec sa « femme » (comme il dit toujours, même si elle a désormais un nouvel amoureux, « elle est rendue une cougar ! », dit-il en souriant, pas peu fier), ils s’entendent à ce jour « très bien ». « Elle a toujours compris, dit-il. Ne m’a jamais trouvé écœurant. » Idem pour leurs enfants.

De son côté, les premiers temps, Vincent s’est retrouvé comme un adolescent. « Comme à 17 ans. Je retrouve ma liberté. » Concrètement, il s’est inscrit sur quelques sites, a vécu plusieurs aventures. Essentiellement des histoires « sans lendemain ». « Je découvre ce que j’aime. Je suis bien. […] C’est dans l’ADN, c’est difficile à expliquer ! », dit-il, en relatant ses nouveaux frissons, au simple toucher d’un homme. « Aujourd’hui, j’aurais de la difficulté à faire l’amour à une femme », assure-t-il.

Le premier matin où il s’est réveillé avec un homme à ses côtés, il s’en souvient encore. « Ça a été une révélation : wow ! »

« J’ai toujours espéré que le feu s’éteigne en dedans. Sauf que ce n’est pas comme ça que ça marche, poursuit-il. C’était trop dans mes gènes pour passer à côté. Pour faire abstraction de ça. »

Et même s’il a perdu sa femme, accumule les one night, en rêvant toujours au grand amour (« je continue d’y croire, mais je me fais de moins en moins d’illusions »), Vincent ne regrette rien. « Parce que je me sens honnête. Vrai. Vrai avec moi-même. » Enfin.

* Prénoms fictifs pour protéger leur anonymat

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