Lancée il y a quelques semaines aux États-Unis, Kurbo, la nouvelle application de WW (ex-Weight Watchers devenu WW-Wellness that Works), qui cible les enfants de 8 à 17 ans, s’est attiré la foudre de nombreux médias et de professionnels de la santé. Une pétition, qui atteint maintenant 113 000 signataires sur la plateforme change.org, demande même le retrait de cette application.

WW estime que Kurbo permet de lutter contre l’obésité chez les jeunes, les aide à manger saintement et à faire de l’exercice. Son fonctionnement ? On entre les informations sur son âge, sa taille, son poids et ses objectifs. Puis, au cours de la journée, les enfants et ados enregistrent ce qu’ils mangent. Les aliments sont divisés en trois codes de couleur : rouge (aliments à éviter, comme le sucre et la malbouffe), jaune (aliments à consommer avec modération comme le poisson et les viandes) et vert (aliments à privilégier comme les fruits et légumes). Ce concept de catégorisation des aliments a été élaboré par l’Université de Stanford, en Californie. En testant l’application, on a constaté toutefois que le beurre d’arachide ou encore la farine d’amande sont classés sous le code rouge.

Et pour mieux convaincre les utilisateurs, quoi de mieux que des « success stories » ? À travers l’application, on voit défiler des photos d’enfants qui posent avant et après avoir suivi le programme Kurbo. Comme Emilie, 11 ans, qui a perdu 25 livres avec le programme Kurbo. Sa mère était membre de Weight Watchers.

Kurbo met aussi des coachs à la disposition des jeunes. En scrutant leur profil, on découvre un athlète, un papa à la maison qui a étudié en psychologie, une entraîneuse personnelle formée en tourisme ou encore une nutritionniste holistique. On peut aussi connecter l’application à sa montre Fitbit. Le prix de Kurbo : 69 $ par mois et 294 $ pour 6 mois.

La Presse a testé Kurbo en se faisant passer pour un ado avec un indice de masse corporelle très faible, qui nous plaçait dans le 3e percentile. Bonne nouvelle, un message est apparu nous indiquant que cette application n’était pas pour nous. Le message a disparu en quelques secondes puis on a été redirigé à la case départ d’enregistrement.

WW n’a pas voulu nous accorder d’entrevue, mentionnant que « […] l’application n’avait pas été lancée au Canada […] ». Pourtant, on peut facilement télécharger l’application, même si elle n’est pas offerte en français. 

Vouloir maigrir à 8 ans

Cibler ainsi les enfants est « irresponsable », dit Annie Ferland, nutritionniste, docteure en pharmacie et fondatrice du blogue Science & Fourchette. « Je trouve ça dangereux ! Ça n’a pas de bon sang de mettre un outil comme ça dans les mains d’un enfant. L’entreprise a beau dire que l’application est faite pour promouvoir de saines habitudes alimentaires, c’est de toute évidence une application destinée à faire perdre du poids aux enfants. »

Elle critique entre autres la restriction alimentaire que prônent ces entreprises de l’industrie de l’amaigrissement.

Plus un aliment est interdit, plus on a le goût d’en manger. Les restrictions alimentaires, ça ne fonctionne pas.

Annie Ferland, nutritionniste et docteure en pharmacie

Ce type d’application peut aussi favoriser les troubles alimentaires. La psychologue Marie-Ève Turgeon, de la Clinique de psychologie des troubles alimentaires, en Montérégie, explique qu’en « incitant les enfants à surveiller ce qu’ils mangent, on les incite à catégoriser les aliments comme bons ou mauvais. On risque alors d’accentuer les complexes corporels et les problématiques de troubles alimentaires », explique-t-elle.

Dès 8 ans, des enfants peuvent être conscients de leur image corporelle, poursuit la psychologue : « Les enfants et adolescents, malheureusement, vont souvent décider de suivre un régime ou de faire attention à ce qu’ils mangent pour tenter de modifier leur silhouette. » Ce type d’application peut mettre leur santé en danger puisqu’ils sont en pleine croissance et devraient manger à leur faim, rappelle-t-elle.

On a montré cette application à Démi, adolescente de 12 ans. Sa réaction ? « Je sais déjà quels sont les bons aliments et moins bons aliments », nous a-t-elle répondu. Quand sa mère a appris que cette application était lancée par WW, son visage s’est crispé : « Ce n’est vraiment pas correct. Ils veulent avoir de futurs clients. »