« Quand on tombe enceinte, on reçoit le Mieux -vivre, une bible qui répond à toutes les questions des nouveaux parents. Quand on s’achète une voiture, le vendeur te fait faire le tour complet du garage et dans le coffre à gants, tu as le manuel. Mais en santé mentale, ça, ça n’existe pas. »

Geneviève Lessard, 45 ans, porte plusieurs chapeaux. Elle est ex-policière. Elle a reçu un diagnostic de choc post-traumatique après un long parcours du combattant dans le système de soins. Elle est paire aidante. Et dans les dernières années, elle a été « codesigner » d’une toute nouvelle application sur laquelle une équipe de chercheurs de l’UQAM planche depuis trois ans : Mentallys.

Mentallys, c’est la création de Stéphane Vial, professeur en design d’interaction à l’UQAM. Il a présenté l’image et le concept de Mentallys, cette semaine, devant une centaine d’organisations. Il s’agit d’un projet de recherche-innovation, « un peu comme une start-up cachée à l’université », financée à près de 1 million en trois ans par des fonds de recherche publics. Un projet d’envergure, donc, qui a mis à contribution une quarantaine d’étudiants, des cochercheurs et des entreprises. Sa visée : devenir LE guichet unique numérique d’accès aux soins et autosoins de santé mentale au Québec. La première version de l’application sera livrée au printemps.

C’est comment améliorer, fluidifier, simplifier toute cette expérience compliquée d’accéder à la bonne aide, au bon moment, pour le bon problème, dans cet univers qu’on connaît mal et qui nous embarrasse : celui de la santé mentale.

Stéphane Vial, titulaire de la chaire Diament

IMAGE FOURNIE PAR L’UQAM

Mentallys propose une interface simple.

Mentallys, qui mise sur une interface simple et fluide, a été élaborée en « codesign », donc avec l’apport constant des professionnels, des patients partenaires et des pairs aidants comme Geneviève Lessard, consultés tout au long du projet. « On n’amène rien qui n’a pas été proposé et validé par les personnes qui vont l’utiliser », résume le professeur Stéphane Vial, également diplômé comme psychologue, en France.

L’application sera dotée de trois composantes : l’accueil et la guidance (qui comportera des vidéos explicatives en santé mentale et la possibilité de clavarder avec un pair aidant) ; une carte géographique (pour repérer toutes les ressources autour de soi, tant publiques, privées que communautaires) et l’interaction avec le service souhaité – paire aidant ou intervenant du CLSC. Les intervenants pourraient utiliser Mentallys pour joindre les personnes, transmettre des documents, faire des rappels automatiques de rendez-vous, ou même pour lancer un clavardage, énumère Stéphane Vial. Sans entrer dans les détails cliniques, Mentallys pourrait aussi inclure un bref historique du parcours de soins d’une personne.

Parcours de soins

L’accès aux soins est compliqué. « Les parcours de soins, ils sont longs, ils sont labyrinthiques, ils sont décourageants », résume le professeur Stéphane Vial. Oui, dit-il, il manque de ressources de façon hurlante, mais là n’est pas le seul problème. « Si, demain matin, vous doublez vos ressources, il y a d’autres enjeux qui ne changent pas : la complexité organisationnelle et logicielle », dit Stéphane Vial, qui souligne que, dans un CIUSSS, il y a entre 400 et 900 logiciels en moyenne au Québec. « Vous allez voir votre médecin de famille, il vous dirige vers le guichet d’accès du CLSC, et votre demande est prise dans une tuyauterie administrative et logicielle dans laquelle elle chemine lentement. »

PHOTO FRANÇOIS LAPLANTE-ANFOSSI, FOURNIE PAR L’UQAM

Stéphane Vial

Parlez-en à Geneviève Lessard. Il lui aura fallu huit ans entre son premier choc traumatique, au travail, et son diagnostic de syndrome de choc post-traumatique, en 2018. « J’ai cogné à plein de portes, au public, au privé, mais personne n’a ciblé la bonne chose », dit-elle. Un délai d’un an pour voir un psychiatre, une autre année pour en voir un deuxième, encore un à deux ans d’attente pour un groupe de soutien… Son histoire donne des maux de tête.

« Ce que j’ai trouvé le plus difficile, c’est de savoir que quelque chose clochait, sans savoir ce que c’était », dit Mme Lessard, persuadée qu’une application comme Mentallys l’aurait aidée.

Dans la visée de Stéphane Vial, Mentallys serait un jour dirigée par une entreprise à vocation sociale, avec des statuts spécifiques garantissant une gestion responsable. La question de la protection de la vie privée est « au cœur des préoccupations depuis le premier jour », assure le professeur. L’application, dit-il, récoltera un minimum de données (« nom, prénom, téléphone, courriel ») et ne fera aucun suivi électronique et ne comprendra aucune publicité. « On va utiliser le service Cloud sécurisé reconnu validé par le ministère de la Santé », dit Stéphane Vial, qui souhaite que Mentallys devienne à terme un service offert gratuitement à toute la population grâce au soutien financier de l’État.