Survivante du cancer du sein, la chirurgienne Cathie Guimond a troqué le scalpel pour l’aiguille à tatouage. Cofondatrice du centre de santé Se reconstruire, à Longueuil, elle souhaite offrir aux autres survivantes une façon de tourner la page.

« Salut, mon ami ! Tu es revenu. » Après son passage sur la table de la Dre Cathie Guimond il y a un mois, Liliane Cayer a retrouvé une partie d’elle-même : son mamelon qui avait été retiré avec son sein droit en raison d’un cancer.

Visuellement, l’effet est trompe-l’œil, mais psychologiquement, il est bien réel. La femme de Saint-Constant compare à un derby de démolition ce que son corps a subi depuis qu’un diagnostic de cancer du sein triple négatif est tombé en 2015 alors qu’elle avait 41 ans. Toutes les interventions qu’elle a subies depuis sont écrites et datées sur des feuilles lignées, soigneusement pliées, qu’elle traîne dans son sac à main : chimiothérapie, mastectomie radicale du sein gauche, radiothérapie, reconstruction mammaire avec ses propres tissus, infection de la plaie.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La Dre Cathie Guimond, chirurgienne et survivante du cancer du sein, offre depuis quelques mois des tatouages de mamelons post-reconstruction.

Ce tatouage du mamelon et de l’aréole est pour elle la façon de boucler une boucle en retrouvant une partie d’elle-même qu’elle croyait avoir perdue.

[La perte d’un sein] a un impact sur ton estime de toi, ton intimité. Même si ton conjoint te dit qu’il t’aime et qu’il te trouve belle, encore plus même, tu n’y crois pas.

Liliane Cayer

Cette intervention, aussi appelée « pigmentation réparatrice », est couverte par la Régie de l’assurance maladie du Québec lorsqu’elle est effectuée par un médecin et demandée par le médecin traitant. Le tatouage peut être réalisé par certains plasticiens dans les hôpitaux comme dernière étape d’une reconstruction mammaire. Or, la qualité des résultats varie beaucoup, remarque la Dre Cathie Guimond. « C’est une spécialité en soi, note celle qui est formée en dermopigmentation effet 3D. Ils sont tellement bons pour prendre des ventres et refaire des seins, mais pas nécessairement pour le tatouage. » Dans sa pratique de tatoueuse, pourtant encore toute récente (le centre a ouvert en février dernier), elle a vu des mamelons noirs et d’autres qui n’étaient pas à la bonne place.

Ce qu’offre la Dre Guimond, c’est un tatouage de l’aréole et du mamelon plus réaliste, créé en fonction du teint de l’autre sein. Elle travaille avec une artiste tatoueuse pour s’assurer de la qualité du rendu 3D. Même lorsque le mamelon a été reconstruit de façon chirurgicale par un plasticien, son volume tend à se résorber. Le recours à la pigmentation 3D est alors nécessaire pour un effet réaliste.

  • La Dre Cathie Guimond a suivi une formation en dermopigmentation effet 3D.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    La Dre Cathie Guimond a suivi une formation en dermopigmentation effet 3D.

  • La Dre Guimond a réalisé ce tatouage trompe-l’œil sur le sein gauche de cette patiente.

    PHOTO FOURNIE PAR DRE CATHIE GUIMOND

    La Dre Guimond a réalisé ce tatouage trompe-l’œil sur le sein gauche de cette patiente.

  • Avant le tatouage. Cette patiente a eu une mastectomie totale bilatérale et une reconstruction avec prothèse.

    PHOTO FOURNIE PAR DRE CATHIE GUIMOND

    Avant le tatouage. Cette patiente a eu une mastectomie totale bilatérale et une reconstruction avec prothèse.

  • La Dre Guimond a reconstruit le mamelon et l’aréole par dermopigmentation effet 3D.

    PHOTO FOURNIE PAR DRE CATHIE GUIMOND

    La Dre Guimond a reconstruit le mamelon et l’aréole par dermopigmentation effet 3D.

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

Dans la province, des artistes tatoueurs offrent ce service, mais puisqu’il n’est, dans ces circonstances, pas couvert par la RAMQ, il faut débourser autour de 500 $ par sein. Une intervention qui sera de plus à refaire dans quelques années, puisque le pigment médical utilisé pour ce type de tatouage a tendance à pâlir. Pour la Dre Guimond, il est inconcevable que des femmes doivent payer ce soin.

« Autant le mot “cancer” scie les deux jambes, autant se voir avec un mamelon, c’est une porte qui s’ouvre vers un autre chapitre de vie, illustre-t-elle. C’est ça, se reconstruire, reconstruire sa féminité, sa confiance. Même si on a toujours l’épée de Damoclès au-dessus de la tête. »

« C’est réel sans l’être ! »

« Après tu te regardes et tu dis : “Mon Dieu, c’est réel sans l’être !” Ça te donne confiance », affirme Brigitte Deschênes, une femme d’Amqui qui s’est rendue jusqu’à Longueuil en juillet dernier pour être tatouée. Elle a eu un premier cancer en 2015, puis un second a frappé l’autre sein en 2020. « J’avais fait faire un tatou, mais ce n’était pas tellement beau. »

Convaincue qu’il y a une demande dans le Bas-Saint-Laurent pour ce service — « J’ai déjà des noms ! » —, Mme Deschênes travaille à organiser une visite de la Dre Guimond dans la région.

Depuis l’ouverture du centre en février dernier, cette dernière multiplie les rencontres avec les médecins pour les inciter à lui recommander leurs patientes. Lors de sa présentation, celle qui, avant sa maladie, a opéré des femmes atteintes du cancer du sein raconte l’histoire d’une patiente qu’elle a accompagnée dans son parcours médical. « Je lui ai tenu la main quand elle s’est endormie pour son opération. Quand, à son réveil, elle n’a pas eu une bonne nouvelle, j’étais là. Je suis allée chez elle. Ses enfants, 1 an, 4 ans. Son enfant qui a été traumatisé de voir le drain. » Cette femme, c’était elle.

En raison des séquelles entraînées par les interventions qu’elle a subies, elle n’a pas pu retourner en salle d’opération. C’est pourquoi elle a participé à la création de cet organisme à but non lucratif qui accompagne aussi les femmes de diverses façons (massothérapie, endermothérapie, sexologie, soutien psychologique, prothèses mammaires, soutiens-gorge adaptés). « Quand une personne a un diagnostic de cancer, il faut dompter les deux monstres : la peur de l’inconnu et l’attente. »

Consultez le site du centre de santé du sein Se reconstruire