Inciter les gens à se faire vacciner contre la COVID-19. Voilà la mission délicate et importante confiée au cours des derniers mois à des concepteurs publicitaires de partout dans le monde, qui ont multiplié les idées pour atteindre cet objectif. Quelle approche est efficace en publicité sociétale ? On en parle avec des experts.

« Le Ginger Ale ne peut guérir la COVID, Derrick ! Fais-toi vacciner. »

Dans une nouvelle offensive publicitaire sur les réseaux sociaux, le département de la Santé de Baltimore, dans le Maryland, joue sur l’humour et le sarcasme pour inciter les gens à se faire vacciner. Et ils sont nombreux à hésiter ou à tarder à le faire aux États-Unis : la moitié des Américains n’ont pas reçu deux doses.

  • « Le Ginger Ale ne guérit pas la COVID, Derrick ! »

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    « Le Ginger Ale ne guérit pas la COVID, Derrick ! »

  • « Des mimosas avec les filles ? Tu n’es toujours pas vaccinée, Debra ! »

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    « Des mimosas avec les filles ? Tu n’es toujours pas vaccinée, Debra ! »

  • « La laitue ne guérit pas la COVID, Connor. »

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    « La laitue ne guérit pas la COVID, Connor. »

  • « Le thé vert ne guérit pas la COVID, Trina ! »

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    « Le thé vert ne guérit pas la COVID, Trina ! »

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Les quatre affiches, relayées des dizaines de milliers de fois sur Instagram cette semaine, illustrent des scénarios cocasses dans lesquels une personne non vaccinée se fait faire la morale par un proche. « Des mimosas avec les filles ? Tu n’es pas encore vaccinée, Debra ! », lance un homme visiblement excédé à son amoureuse boudeuse.

Le ton humoristique et moqueur de cette campagne s’écarte de ce qu’on a l’habitude de voir depuis quelques mois. Tant en Amérique du Nord qu’en Europe, deux grandes tendances ressortent ces temps-ci : les publicités qui tablent sur la joie de reprendre notre vie d’avant et celles qui font entendre des messages factuels de gens connus et respectés. En voici des exemples :

Sortir du lot

Concepteur-réalisateur spécialisé en publicité sociétale, Richard Leclerc voit dans les publicités humoristiques de Baltimore une façon de surprendre et de viser une catégorie de personnes plus précise – les jeunes non vaccinés – et moins simple à aller chercher.

PHOTO FOURNIE PAR RICHARD LECLERC

Richard Leclerc, concepteur-réalisateur spécialisé en publicité sociétale

« Si vous faites une publicité très conventionnelle, vous allez encore parler à ceux qui sont déjà vaccinés. Il faut donc brusquer, trouver une façon d’attirer leur attention », estime Richard Leclerc, chargé de cours de l’Université de Montréal et de l’Université Senghor, en Égypte. « Ça devrait être le rôle de toute bonne pub : trouver une façon de déranger, de troubler, à la limite », dit M. Leclerc, qui rappelle que les gens ne retiennent qu’une infime partie des messages publicitaires auxquels ils sont exposés.

À Singapour, une publicité sous forme de vidéoclip disco mettant en vedette deux comédiens locaux a fait fureur sur les réseaux sociaux :

Jacques Nantel, professeur émérite de HEC Montréal, souligne quant à lui que l’humour est un couteau à double tranchant en publicité.

« Quel que soit le message – la ceinture de sécurité, le tabagisme ou le vaccin –, les études arrivent toujours aux mêmes conclusions : quand on utilise un message percutant qui table soit sur la crainte, soit sur l’humour, la forme du message a beaucoup de résonance – les gens en parlent, notamment sur les réseaux sociaux, mais le fond du message, lui, passe moins. Les gens se souviennent du gag, mais pas du fond. » Quant aux publicités qui font peur, elles peuvent provoquer un effet de fermeture, indique Jacques Nantel.

En Australie, le gouvernement a diffusé cet été une publicité-choc où l’on voit en gros plan une jeune femme sous oxygène en détresse respiratoire. La publicité a attiré son lot de critiques en Australie.

« La peur, ça ne marche pas avec tout le monde, ajoute Richard Leclerc. Les jeunes n’ont pas peur. Avec eux, mieux vaut aller vers des faits, vers de l’humour, vers une adaptation de la réalité en utilisant les réseaux qu’ils aiment. »

Les faits d’abord

Qu’est-ce qui fonctionne bien en publicité sociale ?

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Nantel, professeur émérite de HEC Montréal

« Si votre récompense, comme publicitaire, c’est le nombre de like ou de partages, allez-y avec un message comme celui de Baltimore. Si vous voulez faire changer les comportements, allez-y avec un message factuel », répond Jacques Nantel.

Des jeunes qui, par exemple, craignent que le vaccin ait été développé trop rapidement ou qu’il leur cause des effets secondaires souriront en voyant les publicités de Baltimore, « mais ça ne les convaincra pas d’aller se faire vacciner », croit Jacques Nantel.

Au Québec, une publicité diffusée le printemps passé et signée par l’agence Cossette s’inscrit dans le courant du « tout ce qu’on pourra refaire une fois vacciné ». « Il s’agit d’un appel à l’action, qui nécessite une approche plus émotive », indique par courriel Marie-Ève Fillion, conseillère en affaires publiques au ministère du Conseil exécutif et secrétariat du Conseil du trésor.

« De jouer sur un pairage – vous vous faites vacciner, vous allez pouvoir voir votre grand-mère ou aller au restaurant –, ce n’est pas inintéressant en pub, parce que c’est très factuel », estime Jacques Nantel.

Au cours des prochaines semaines, Richard Leclerc s’attend à voir des messages publicitaires directement adressés aux jeunes, qui demeurent les moins vaccinés.