L’incontinence fécale, appelée encoprésie, et qui affecte les enfants dès l’âge de 4 ans, est taboue. Pourtant, elle entraîne beaucoup de souffrances et de honte dans les familles. La pandémie, et la hausse du temps passé devant les écrans, semble avoir exacerbé ce problème.

Lors de la première vague de confinement, au printemps 2020, Jeanne*, une infirmière de Montréal, a été prise d’un haut-le-cœur en rentrant chez elle, au bout d’une longue journée de travail. Son fils Noah*, 12 ans, branché sur sa console de jeu, avait déféqué dans son pantalon de pyjama… sans s’en rendre compte. « Je n’en revenais pas, confie la mère. J’étais sous le choc ! Je ne comprenais pas pourquoi il ne s’était pas rendu aux toilettes. Je me suis demandé s’il était sous l’influence de quelque chose, s’il était malade… »

En fait, Noah n’avait pas « écouté » son signal d’envie d’aller aux toilettes… Absorbé par son jeu, comme figé dans un autre espace-temps, il était déconnecté de son corps — et de ses besoins.

À la clinique pédiatrique du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, entre un quart et un tiers des consultations sont liées à la constipation, de légère jusqu’à extrême, qu’on nomme l’encoprésie, selon la Dre Brigitte Parisien, pédiatre au CHU Sainte-Justine. « C’est un problème depuis longtemps, souligne cette dernière, à cause entre autres de notre mode de vie pressé et de mauvaises habitudes de vie, dont de mauvaises habitudes d’élimination. »

Pandémie et cyberdépendance

La constipation touche de 15 à 20 % des enfants, comparativement à l’encoprésie, vécue par les jeunes âgés de 4 ans et plus dans une proportion de 1 à 4 %, selon la Dre Véronique Groleau, gastroentérologue pédiatrique à Sainte-Justine.

La surutilisation des écrans par les enfants, pendant la pandémie, a entraîné toutes sortes de problèmes psychologiques et physiques… dont l’encoprésie. « On voit plus de cyberdépendance, plus de troubles alimentaires et plus de problèmes liés à la digestion, y compris les cas d’encoprésie », explique la Dre Groleau.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

La cyberdépendance peut entraîner des cas d’encoprésie, et la pandémie a exacerbé cette problématique.

Elle donne cet exemple : « Le jeune peut avoir 10, 11, 12 ou 13 ans, il a envie d’aller aux toilettes, mais il est accro à son jeu. C’est très difficile de faire pause. Il va donc se retenir et en faire une habitude. Parfois, il est déjà constipé depuis cinq ou même sept ans. »

Brigitte Alarie, psychoéducatrice au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, a vu les dossiers d’encoprésie se multiplier. « Je voyais habituellement entre un et trois dossiers d’encoprésie par année, indique-t-elle, mais cette année, je suis rendue à neuf ou dix. La pandémie a provoqué des éléments régressifs chez certains enfants. »

Une condition qui affecte toute la famille

Ces régressions peuvent toucher toutes sortes d’aspects de la vie des enfants, du trouble langagier aux problèmes de comportement en passant par l’énurésie (faire pipi au lit) ou l’encoprésie.

Dans le cas de l’encoprésie, les conséquences touchent toute la famille et l’entourage de l’enfant. Les parents vivent de la honte, de l’isolement, de l’incompréhension, de la déception, de la colère, de l’impuissance, de l’anxiété… et pour les enfants, cela peut signifier être mis à l’écart à l’école, voire être rejetés et intimidés.

Nadia* s’est retrouvée au bord de l’effondrement, personnel et familial, à cause des problèmes d’encoprésie de sa fille de 9 ans. « Quand elle avait 3 ou 4 ans, Juliette* était tellement constipée qu’elle pouvait ne pas faire de selles pendant 10 jours, raconte cette mère de 33 ans, résidante de la Rive-Nord. Elle a été hospitalisée pendant deux semaines. On lui a donné du laxatif, elle a vu une nutritionniste. Elle s’est mise à faire des diarrhées, je lavais 10 à 12 culottes souillées par soir, dans mon garage. Je me souviens que je pleurais en me disant : “Ça ne finira jamais ?” »

Aujourd’hui, Juliette va mieux… mais il s’agit d’un équilibre fragile. « Je tiens un agenda de ses selles depuis trois ans, dit Nadia, pour connaître sa régularité avec exactitude. Sa dose de laxatif est stable et elle va à l’école en culottes, sans couche. Elle bénéficie d’un bon soutien à l’école, entre autres parce qu’on lui a reconnu un statut particulier, qui lui donne le droit à des consultations avec une psychoéducatrice et à l’accompagnement d’une personne pour aller à la salle de toilette. »

Du cas par cas

Le problème de Juliette, comme celui de Noah, est complexe : il n’existe pas de solution miracle ni de cas type. Chaque enfant doit être entendu — et recevoir un diagnostic. Mais pour cela, encore faut-il en parler…

« Tout ce qui est lié au système digestif est tabou, indique la Dre Groleau, que ce soient les vomissements, la diarrhée, l’urine, les selles, l’incontinence, même les maux de ventre. »

C’est tabou parce que c’est considéré comme dégueulasse. On a une gêne à aborder ces sujets, car on a peur de dégoûter.

La Dre Véronique Groleau, gastroentérologue pédiatrique au CHU Sainte-Justine

Il faut savoir que l’encoprésie part souvent d’une constipation. Les selles s’accumulent et forment un bouchon, appelé fécalome, qui bloque le rectum et provoque des diarrhées (dites de « fausses diarrhées »). « Il faut d’abord enlever le bouchon, détaille la Dre Groleau, puis reprendre de bonnes habitudes de vie, comme manger des fruits, des légumes, des grains entiers en quantité suffisante, bien s’hydrater et aller aux toilettes régulièrement. »

Les « accidents » viennent du fait que l’enfant ne sait plus reconnaître son envie d’aller à la selle. « Il faut se réentraîner et casser le cercle vicieux », souligne-t-elle.

Selon l’infirmière Nathalie Arsenault, qui travaille à la clinique pédiatrique du CHU Sainte-Justine avec la pédiatre Brigitte Parisien sur les dossiers d’encoprésie, il est essentiel d’attaquer le problème dès qu’il se présente, quand les enfants ont 2 ou 3 ans et qu’ils sont en plein apprentissage de la propreté, par exemple. « Si on voit que les selles sont dures, que l’enfant se retient, car il a peur que ça fasse mal, il faut en parler tout de suite, il ne faut pas attendre », rappelle-t-elle.

La solution passe aussi par un meilleur contrôle des écrans — et une vie de famille harmonieuse, croit la psychoéducatrice Brigitte Alarie. « Ce n’est la faute ni des enfants ni des parents, glisse-t-elle, on a vécu une période exceptionnelle. On ne se rend pas toujours compte du temps passé sur les écrans… Il faut simplement essayer de restructurer l’horaire et de suivre une routine avec des périodes fixes pour manger, aller aux toilettes, dormir, faire des activités en famille. Cinq minutes de temps de qualité ensemble, c’est mieux que zéro ! »

* Toutes les personnes interrogées ont requis l’anonymat pour préserver l’aspect privé et l’intimité de leurs enfants.

Des ressources

Un livre pour les 3 à 6 ans : Le grand voyage de Monsieur Caca, d’Angèle Delaunois et de Marie Lafrance, aux éditions Les 400 coups

Un livre pour les parents : Devenir propre : petits et grands tracas, d’Anne-Claude Bernard-Bonnin, aux éditions du CHU Sainte-Justine

Dépliant Constipation fonctionnelle et encoprésie publié par le CHU Sainte-Justine en mai dernier

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