(Paris) Retrouver l’odorat par la mémoire, les émotions et les parfums ? C’est ce que propose l’OSTMR, méthode de rééducation utilisée en Europe pour les anosmiques de la COVID-19.

En mars 2020, Théo Grec a contracté la COVID-19. Comme la plupart des personnes infectées, il a perdu le goût et l’odorat.

Théo a été voir deux otorhinolaryngologistes (ORL), qui lui ont successivement prescrit des lavages de nez, un traitement aux huiles essentielles et même un examen d’imagerie par résonance magnétique pour voir s’il n’avait pas de lésions au cerveau.

« J’ai bien senti que ce n’était pas la solution. Personne n’était apte à m’orienter », lance le Parisien de 22 ans, joint au téléphone.

Personne… jusqu’à ce que le jeune homme découvre la méthode OSTMR (pour olfactory stimulation therapy and memory reconstruction) à la faveur d’un article paru dans Le Parisien. « Curieux, mais sceptique », il a pris rendez-vous avec une spécialiste et entamé une thérapie olfactive qui se poursuit toujours.

Un mois après le début de la rééducation, il dit avoir récupéré 40 % de son odorat. « Une progression dingue », lance-t-il avec soulagement.

Créée en 2014, la méthode de thérapie olfactive OSTMR était jusqu’ici utilisée pour aider les troubles anxieux, l’alzheimer, la dépression, les troubles alimentaires et les troubles obsessionnels compulsifs.

Mais un nouveau type de patient – inattendu – est apparu avec le nouveau coronavirus : les « anosmiques », c’est-à-dire ceux qui ne sentent plus.

Rappelons que la perte d’odorat est un symptôme fréquent chez environ 85 % des personnes atteintes d’une forme légère ou modérée de COVID-19, selon une étude publiée en janvier dernier dans le Journal of Internal Medicine.

« Le message ne passe plus »

Ces problèmes se produisent parce que le virus de la COVID-19 détruit la muqueuse olfactive et les neurones chargés de transmettre le signal électrique. Le cerveau ne peut donc plus percevoir les odeurs (et, par conséquent, le goût).

Les neurones olfactifs se régénéreront tôt ou tard. Mais dans 25 % des cas, le « contact » ne se fait plus aussi bien qu’avant, et l’odorat devient dysfonctionnel. Certaines personnes deviennent ainsi « anosmiques » (perte totale de l’odorat), d’autres, « parosmiques » (perceptions faussées), « hyperosmiques » (odorat exacerbé) ou encore « phantosmiques » (odeurs perçues, mais non réelles).

« Le message ne passe plus », résume tout simplement Olga Alexandre, neuropsychiatre et biochimiste, qui a mis au point l’OSTMR et l’enseigne à l’École supérieure du parfum, à Paris.

Faire appel aux souvenirs

La méthode OSTMR vise à rétablir le bon chemin en faisant appel aux souvenirs et aux émotions du patient. Celui-ci est exposé à des odeurs qui font partie de son vécu, une palette allant jusqu’à 80 stimuli olfactifs. Les émotions engendrées par la mémoire permettront éventuellement de rétablir le bon « schéma neuronal ».

« On personnalise la rééducation de l’odorat », explique Justine Leguay, diplômée de l’École supérieure du parfum de Paris et l’une des vingtaines de spécialistes OSTMR en France.

On va associer chaque odeur à un souvenir fort. Plus le souvenir est fort, mieux ça marche.

Justine Leguay, spécialiste OSTMR

Pendant sa rééducation, qui doit compter une douzaine de séances et une série d’exercices pour la maison, Théo Grec a notamment été soumis aux odeurs rencontrées lors de ses vacances en Corse, avant qu’il ne perde l’odorat.

« On a commencé avec des odeurs liées à l’alimentation : le melon, le barbecue, le mojito. Puis, des souvenirs d’odeurs, comme l’air iodé de la mer, la crème solaire… », relate-t-il. Des exercices quotidiens lui ont été prescrits entre les séances.

Accompagnement

L’aspect psychologique de l’OSTMR n’est pas à négliger, ajoute par ailleurs Olga Alexandre. Car la plupart des personnes se trouvent « démunies » devant leur anosmie ou ses variantes. La biochimiste évoque une « perte de repères au quotidien », voire de la « dépression », surtout si le métier du patient est en jeu, comme chez les cuisiniers ou les parfumeurs.

D’où l’importance d’écouter, de comprendre et de « verbaliser ».

« On ne laisse jamais quelqu’un qui s’est cassé le bras se rééduquer lui-même », résume la Dre Alexandre, en comparant sa méthode à des séances de physiothérapie. « On l’accompagne. On lui montre la façon de poser les pieds. On le soutient. »

Elle évoque un taux de réussite assez haut : de 95 % à 100 % pour la capacité à sentir, et de 88 % pour ce qui est de reconnaître les odeurs avec justesse.

Intérêt grandissant

En France, des hôpitaux ont commencé à s’intéresser à l’OSTMR. Bien que la méthode soit associée aux médecines douces, certains ORL n’hésitent pas à la recommander, ou se gardent en tout cas de la dénigrer, car elle explore le lien crucial entre les odeurs et les émotions, ce que la thérapie aux huiles essentielles, plus limitée, ne fait pas forcément.

« L’OSTMR a besoin d’être évaluée sur le plan scientifique. Mais c’est une théorie intéressante, parce qu’elle a compris que l’odorat est quelque chose qu’on façonne, qu’on doit modeler au cours de sa vie, et qui fait appel à notre mémoire. C’est intéressant de travailler sur ça », résume la Dre Émilie Bequignon, porte-parole de la Société française d’ORL et de chirurgie de la face et du cou.

Et au Québec ?

Au Québec, l’OSTMR n’est pas appliquée. Mais depuis la COVID-19, de plus en plus d’ORL utilisent la méthode de rééducation de l’odorat par les odeurs de cuisine (café, vanille, clou de girofle, etc.) découlant des recherches de Johannes Frasnelli, de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

« Nous sommes ouverts à utiliser cette technique, parce que peu d’autres traitements sont disponibles », résume Luc Monette, président de l’Association d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale du Québec, ajoutant toutefois que la science n’a « pas encore beaucoup de recul » sur le sujet.

Cette thérapie fait appel à la reconnaissance d’odeurs connues, sans toutefois se baser sur les souvenirs propres à un patient.