Il y a quelques mois à peine, l’idée semblait être tirée d’un film de science-fiction, mais les scanneurs permettant de détecter si une personne a de la fièvre sont en train de devenir la norme pour certaines entreprises canadiennes comme Air Canada dans la lutte contre la COVID-19.

Vous avez de la fièvre ? Vous restez au sol.

Les experts indiquent cependant que la température corporelle est loin d’être infaillible dans la détection du nouveau coronavirus. Déterminer qui peut prendre l’avion, faire des emplettes ou travailler dans une usine en fonction de la température pourrait être davantage une question de perception et de tranquillité d’esprit qu’un outil fiable pour dépister les malades.

« C’est largement relatif à ce qui est perçu. Les gens font confiance à la technologie, a déclaré le Dr Dominik Mertz, directeur médical de la prévention et du contrôle des infections au Centre des sciences de la santé d’Hamilton. Les gens se sentent rassurés s’ils vont quelque part et que la température est mesurée, ils se disent : “Oh, super. C’est un endroit sûr. ” »

Air Canada a annoncé cette semaine qu’en plus de poser des questions liées à la santé et de rendre les masques obligatoires, elle prendra bientôt la température des passagers avant de les autoriser à monter à bord. Des vérifications similaires ont été mises en place en avril dans certains supermarchés du pays et font partie du protocole de dépistage des visiteurs dans des cliniques.

Des employeurs aux États-Unis, dont Amazon et Walmart, ont indiqué qu’ils commenceraient à utiliser des scanneurs thermiques pour tester leurs employés, tandis que Home Depot donne aux employés des thermomètres à utiliser à la maison.

La Ligue coréenne de baseball, qui a repris mardi sa saison après l’avoir repoussée, procède régulièrement à des vérifications de la température des joueurs, et les ligues professionnelles nord-américaines dont la NBA ont demandé aux joueurs et au personnel de se préparer à ce que cette mesure soit mise en place quand et s’ils reprennent l’entraînement.

Cependant, la prise de la température corporelle ne permettra pas à elle seule d’écarter les cas de COVID-19, a déclaré l’administratrice en chef de la santé publique du Canada plus tôt cette semaine.

La Dre Theresa Tam a affirmé que plus on comprend le nouveau coronavirus, plus il devient clair que la prise de température n’est « pas du tout efficace » pour identifier les personnes qui en sont atteintes.

Au début de la crise de la COVID-19, les responsables de la santé ont déclaré que la fièvre était l’un des principaux symptômes, c’est pourquoi des vérifications de la température ont d’abord été mises en place. Mais l’efficacité du test est variable.

« Ce n’est pas une solution miracle », a résumé Colin Furness, épidémiologiste spécialisé dans la lutte contre les infections et professeur adjoint à l’Université de Toronto.

Il y a plusieurs semaines, lorsque les aéroports contrôlaient les voyageurs à leur arrivée, en particulier ceux en provenance de pays comme la Chine, M. Furness a déclaré qu’il pensait que les scanneurs thermiques étaient des outils utiles si cela ne permettait de détecter ne serait-ce qu’un passager malade.

« Ma réponse à l’époque était une étape intelligente, car certaines personnes seront malades, elles ont de la fièvre, elles ne le remarqueront peut-être pas ou ne s’en soucieront pas. Et un cas détecté permettra d’éviter que plusieurs autres cas apparaissent, a-t-il dit. Mais nous ne devrions pas prétendre que ça va tout capter. »

Air Canada a indiqué que les passagers dont la température est supérieure à 37,5 °C ne pourront pas monter à bord de ses appareils. La température normale du corps est de 37 °C, mais ce n’est qu’une moyenne et elle peut fluctuer pour de nombreuses raisons.

Les faux positifs et les faux négatifs sont deux possibilités — une personne peut avoir une température corporelle supérieure à 37,5 sans avoir de la fièvre, tandis qu’une personne ayant une légère fièvre peut avoir une température inférieure et ne pas être détectée.

« S’ils ont de la fièvre, la fièvre pourrait être due à autre chose (comme) la grippe saisonnière », a indiqué Thomas Tenkate, professeur agrégé et directeur de l’École de santé professionnelle et publique de l’Université Ryerson.

« Prendre la température du corps sans tenir compte d’autres symptômes et des antécédents d’exposition d’une personne pourrait conduire à un faux diagnostic, a déclaré le Dr Tenkate. Pour les entreprises qui utilisent cela comme seul facteur pour déterminer s’ils laissent entrer ou non quelqu’un, cela pourrait conduire soit à laisser entrer des personnes asymptomatiques, mais infectieuses, soit à refuser des personnes qui ne sont pas infectieuses par le coronavirus. »

Le Dr Mertz a suggéré que la température du corps augmente à l’effort — l’être humain transpire pour réguler sa température.

Une balade à vélo, une marche rapide ou un sprint à travers un terminal d’aéroport pour prendre un vol pourrait entrainer une augmentation de la température du corps, ce qui est particulièrement problématique, a déclaré le Dr Mertz, si la température seuil pour décréter qu’une personne fait de la fièvre est faible.

« Maintenant, avec l’arrivée de l’été (et) la transpiration [...], vous devrez donc probablement attendre à l’extérieur pendant un certain temps jusqu’à ce que la température de votre corps redescende, puis vous pourrez entrer dans le commerce ou où un scanneur thermique est utilisé », a expliqué M. Mertz, qui est également professeur agrégé à l’Université McMaster.

Le cycle menstruel d’une femme provoque également des fluctuations de température en raison de l’évolution des niveaux d’hormones, mais M. Mertz a déclaré que les variations sont négligeables.

Pour compliquer les choses, les capteurs de température ne sont pas parfaits, avec une marge d’erreur généralement comprise entre 0,3 et 0,5 °C, a mentionné M. Mertz.

Tester à la fois la température corporelle et le niveau d’oxygène dans le sang serait une mesure de dépistage plus efficace, a indiqué M. Furness.

« L’hypoxie silencieuse » est un symptôme du coronavirus qui déroute les médecins. Dans de nombreux cas, les gens se sentent bien lorsqu’ils sont en fait très malades.

« Cela fonctionne un peu plus comme un empoisonnement au monoxyde de carbone où les poumons ne respirent tout simplement pas d’oxygène, mais les gens ne le remarquent pas, a déclaré M. Furness. Votre taux d’oxygène dans le sang baisse considérablement, et c’est vraiment dangereux ; vous respirez plus fort, mais vous ne vous en apercevez même pas vraiment. Et vous êtes définitivement contagieux. »

Bien qu’une vérification de la température ne permette pas d’identifier ces personnes, un test d’oxymétrie de pouls pourrait le faire, a-t-il noté. Un oxymètre de pouls est un appareil électrique qui passe au-dessus du doigt. Il n’emploie pas d’aiguille, est peu coûteux, peut être acheté dans la plupart des pharmacies et donne une lecture de la saturation en oxygène en quelques secondes.

Il s’attend à voir des dépistages de pouls se multiplier dans les prochaines semaines alors que les entreprises sont pressées de rouvrir.

Une combinaison du test d’oxymétrie de pouls et de la prise de la température corporelle permettrait-elle d’identifier toutes les personnes infectées ?

« Probablement pas. Nous l’ignorons, a déclaré M. Furness. Mais si vous pouvez identifier (certains) cas, même si vous ne les attrapez pas tous, vous pourriez faire beaucoup de bien pour tout le monde. »

« Ces (deux tests) sont non invasifs, ils sont durables, ils ne sont pas extrêmement chers, ils sont immédiats. Ce sont donc les sortes de caractéristiques qui disent : “Eh bien, oui, nous pouvons intégrer cela dans le flux de travail, que ce soit lors d’un changement de quart de travail ou lorsque des gens montent à bord d’un avion”. »