Vous vous sentez clairement et sincèrement plus jeune que vous ne l'êtes? Votre corps biologique a des années de moins que votre corps chronologique? Et vous croyez que changer votre âge légal mettrait un terme à toute discrimination dont vous pourriez être victime? Alors oui, vous devriez légalement pouvoir le faire. Telle est la thèse à la fois farfelue et provocante d'un éthicien finlandais, qui vient de publier un article sur le sujet. Explication et analyse, en quatre temps.

Le contexte

On se souvient qu'en décembre, un tribunal néerlandais a refusé de modifier l'âge légal d'un homme de 69 ans, Emile Ratelband, lequel se disait « victime de discriminations », et revendiquait, en vertu d'un bilan de santé irréprochable (son médecin ayant certifié que biologiquement, son corps avait autour de 40-45 ans), qu'on le rajeunisse légalement de vingt ans. Pourquoi ? Tant sur le marché de l'emploi que sur les sites de rencontre, l'homme affirmait être « abusé, lésé et discriminé par [son] âge », rapportait l'AFP. La cour n'a toutefois pas jugé que l'argument était ici « valide ». Mais l'histoire, certes insolite, ne s'arrête pas là.

La thèse

Un bioéthicien de l'Université d'Oslo, en Norvège, Joona Räsänen, vient en effet de publier un article dans la revue Journal of Medical Ethics, dans lequel il défend au contraire la pertinence de changer son âge légal, si trois critères précis sont ici remplis : se sentir plus jeune, être biologiquement plus jeune, et être victime d'âgisme. Dans « A moral case for legal age change », il défend les arguments « moraux » d'un tel changement afin de lutter contre la discrimination, un problème bien réel, en prenant bien soin de se distancier de la question du droit de changer de sexe. « Le but de cet article est de faire un argument indépendant, qui se défende, que l'on juge possible et permissible le changement de sexe ou pas », écrit-il.

Du changement individuel au changement de société

« Mais quelle est la solution : un changement individuel de statut sur un bout de papier ? se questionne Bryn Williams-Jones, directeur du programme de bioéthique à l'École de santé publique de l'Université de Montréal. La solution, ce n'est pas le papier, c'est le changement social. » On ne réglera pas la question de la discrimination en accédant aux souhaits de certains individus à la pièce. Ce qu'il faut, c'est travailler en amont sur la société, pour qu'elle soit plus « accueillante » face aux personnes âgées : « Nous avons besoin d'une société qui dit : les personnes âgées sont encore des membres importants de la société et qui les valorise », avance l'expert.

Une réflexion qui s'impose

Cela étant dit, pour faire ainsi bouger la société, encore faut-il poser ces questions, réfléchir, et débattre. Même s'il trouve la thèse du changement d'âge avancée ici « farfelue », Bryn Williams-Jones souligne qu'elle a le mérite de soulever des questionnements fort pertinents. « Nous allons de plus en plus vers une société où l'on va vivre de plus en plus longtemps. Et cela exige que l'on change les cadres de référence envers les jeunes et les moins jeunes. » Tout comme pour lutter contre les iniquités sociales, « on ne force pas les femmes à avoir des comportements d'homme, mais on lutte contre le sexisme », pour combattre l'âgisme, on ne va pas rajeunir les personnes âgées. Il faut lutter contre la discrimination. Valoriser la diversité. Une anecdote entre mille : quand il a commencé à enseigner à l'université, Bryn Williams-Jones avait 35 ans. Son premier étudiant avait le double de son âge. « Il était retraité et plus vieux que mon père ! Et il a terminé son doctorat à 68 ans ! C'est la liberté de l'époque dans laquelle on vit ! » À méditer.