Cassandra tient Azote tout près d’elle. Sa chienne d’assistance lui décoche sans cesse des regards. La langue sortie, les coins de la bouche relevés, elle attend avec entrain la prochaine commande. Sa présence est apaisante. Pour Cassandra, Azote est vitale, si on peut dire. Quand sa nouvelle école secondaire lui a refusé l’accès à sa classe avec sa chienne Mira, les effets ont été tels que l’adolescente a voulu mourir. Deux ans plus tard, sa vie en est encore chamboulée. Portrait d’une situation qui se produit des dizaines de fois par année, et que la Fondation Mira souhaite voir disparaître.

Quand elle marche, Cassandra Turgeon-Pelletier regarde davantage où Azote pose ses pattes plutôt qu’où elle-même mets les pieds. C’est dire à quel point elle ne fait qu’une avec sa chienne Mira. Vivant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), l’adolescente de 17 ans peut compter depuis 2017 sur sa chienne parfaitement entraînée pour apaiser ses symptômes.

« J’ai annoncé à l’école le 15 juin [2017] que ma fille aurait un chien de la Fondation Mira pour la rentrée », raconte sa mère Isabelle Turgeon. Convoquée deux mois plus tard à l’école secondaire Jean-Baptiste-Meilleur de Repentigny, avec sa fille et du personnel de Mira, tous croyaient à une journée d’intégration avant la rentrée.

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Cassandra Turgeon-Pelletier et sa mère, Isabelle Turgeon

Or, l’établissement, où la jeune fille avait intégré une classe spécialisée l’année scolaire précédente, leur annonçait plutôt qu’il ne pouvait pas accepter le chien dans l’immédiat en raison de la phobie d’un autre élève. Ainsi, Azote ne pouvait pas entrer dans l’école.

Pour Cass, c’était son rêve d’emmener Azote à l’école. Elle y travaillait depuis des années et des années [Azote était son deuxième chien Mira] et, enfin, la Fondation Mira lui avait donné le OK. Alors quand l’école le lui a refusé, comme ça, devant elle, en plus d’avoir enfermé son chien, son univers s’est effondré.

Isabelle Turgeon, mère de Cassandra

« Emmener son chien à l’école signifiait pour elle pouvoir enfin se faire des amies et arrêter de se faire intimider », explique la maman, que les événements rendent encore émotive.

Cette séparation forcée s’est traduite par une série de troubles du comportement chez Cassandra et a poussé sa mère à déposer une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

« Ma fille ne voulait pas retourner à l’école. Elle a fait des menaces de suicide parce qu’elle disait que si elle n’était pas là, on aurait moins de problèmes, parce qu’on n’aurait plus à nous battre, vu qu’on venait de terminer une bataille pour avoir une classe adaptée pour elle et que là, on en commençait une autre avec le chien », raconte Mme Turgeon.

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Cassandra Turgeon-Pelletier se fait parfois refuser l'accès à un immeuble en raison de la présence de sa chienne Azote.

Dans sa décision rendue le 23 octobre 2018, la CDPDJ écrit que la preuve est insuffisante pour porter la cause devant un Tribunal. La commission scolaire des Affluents a répondu qu’elle ne « commentera[it] pas la situation survenue en août 2017, parce qu’elle a fait l’objet d’une décision de la Commission des droits de la personne ». Au téléphone, le coordonnateur de la commission scolaire, Éric Ladouceur, s’est étonné que La Presse s’intéresse à un dossier « clos depuis longtemps ».

La situation, décrite ici en quelques lignes, a duré des mois pour la famille, le processus du dépôt d’une plainte à la CDPDJ s’étant échelonné sur deux ans. Après cette journée du 25 août 2017, Cassandra est restée à la maison durant deux mois, et a par la suite changé d’école trois fois. Cette année, l’adolescente de 17 ans a décidé avec ses parents d’opter pour un programme d’intégration au milieu du travail. Entre-temps, Cassandra s’est aussi fait refuser l’accès à un dépanneur avec Azote. C’était la première fois que la jeune fille quittait seule la maison. 

Un cas parmi des dizaines d’autres

Depuis cinq ans, 132 dossiers impliquant des chiens guides ou des chiens d’assistance ont été ouverts à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Dans la majorité des cas consultés par La Presse, la plainte provient d’un bénéficiaire qui s’est vu refuser l’accès à un lieu privé ou public, un logement ou un emploi, en raison de la présence de son chien.

Ça fait 40 ans qu’on donne des chiens à des personnes handicapées visuelles ou physiques et on a encore une trentaine de cas par année qui viennent à nos oreilles et qui se ramassent à la Commission des droits de la personne.

Nicolas St-Pierre, directeur général de la Fondation Mira

« Un non-voyant qui va au restaurant et qui se fait mettre dans un coin proche de la toilette pour ne pas importuner les autres clients avec son chien, un enfant qui a un TSA [trouble du spectre de l’autisme] qui prend son courage à deux mains pour aller au dépanneur et qui se fait refuser l’accès… Il y a un paquet d’histoires du genre et elles ne vont pas toutes devant la Commission », ajoute-t-il pour démontrer que les plaintes formelles ne représentent qu’une partie du problème.

Une publicité pour faire bouger les choses

De ce fait, l’organisme à but non lucratif a récemment développé avec l’agence de publicité Publicis Montréal la campagne de sensibilisation « Ça ne se fait pas » pour que la discrimination cesse. La vidéo veut démontrer que séparer une personne de son chien Mira équivaut à séparer une personne paralysée de son fauteuil roulant.

Lyse Veilleux, qui a aussi vécu de la discrimination, espère que la campagne de sensibilisation aura une portée significative. Des propriétaires ont refusé de louer un appartement à la femme non-voyante en raison de son chien Mira – une cause qu’elle a gagnée devant la Commission des droits de la personne.

« On est en 2019. Jusqu’à quand et combien de campagnes de sensibilisation devra-t-on faire pour que les gens comprennent que ces chiens-là sont des aides à la mobilité ? Qu’ils ne mangent pas les meubles ni les cadres de porte, qu’ils sont entraînés et que les gens qui décident d’avoir un chien guide sont responsables », estime Mme Veilleux, qui avoue qu’elle a été « affectée de se faire rejeter comme ça, d’autant plus qu’ [elle] était vulnérable. »

Tant Cassandra que Mme Veilleux le disent : les chiens d’assistance leur procurent un sentiment de sécurité, de confiance et d’autonomie incomparable, et ils sont inséparables.

Définitions

Chien guide : Aide technique qui permet à une personne non voyante ou ayant une déficience visuelle de pallier ses limitations fonctionnelles sur les plans de l’orientation et la mobilité.

Chien d’assistance : Permet d’accroître l’autonomie de la personne qui a un handicap moteur ou cognitif.

Ce que dit la Commission des droits de la personne et de la jeunesse : 

« La Charte des droits et libertés de la personne du Québec protège toute personne en situation de handicap qui utilise un chien guide ou d’assistance. La personne accompagnée d’un chien guide ou d’assistance a le droit d’avoir accès, sans discrimination, aux : lieux publics, tels que les commerces, les restaurants, les hôtels et les gîtes ; transports en commun et taxis ; lieux de travail ; lieux de loisirs, tels que les campings et les cinémas. Elle a de même le droit d’y obtenir les biens ou les services ordinairement offerts au public qui y sont disponibles, sans discrimination et sans frais supplémentaires. »