Les opposants d'un rôle accru du privé dans la santé critiquent volontiers les États-Unis. Mais la France, souvent citée pour la qualité et la rapidité de ses soins, est encore plus touchée par la transition vers le privé.

«La France est le pays où le secteur privé à but lucratif est le plus important, par rapport au système public de santé», affirme Christophe Pascal, de l'Université Jean-Moulin Lyon 3, en entrevue en marge des Entretiens Jacques-Cartier. «Aux États-Unis, le secteur privé est surtout composé de fondations à but non lucratif. Le comportement n'est pas le même.»

Près de 80% des interventions chirurgicales en France sont réalisées par le secteur privé à but lucratif. «Les hôpitaux publics font presque exclusivement des cas non programmables, par exemple une perforation subite, dit M. Pascal. Il y a un risque réel que le public ne disparaisse du secteur des chirurgies électives. Ça poserait un problème énorme, parce que la formation se passe exclusivement au public. Si le privé devait prendre en charge les internes, ça bouleverserait leur modèle d'affaires.» C'est un peu comme les écoles privées, qui prennent les meilleurs élèves et laissent les cas les plus difficiles aux écoles publiques.

Un modèle d'affaires très productif. Selon un autre participant des Entretiens, Gérard de Pouvourville, économiste de la santé à l'École de commerce de Cergy, le privé est deux fois plus productif que le public en chirurgie.

La conférence de M. Pascal s'intitulait Les privés en France. C'est qu'il n'y a pas que les cliniques à but lucratif. Les médecins des hôpitaux publics, salariés, peuvent ainsi prendre des patients à titre privé dans leurs locaux de l'hôpital public. «Ça crée un système à deux vitesses, dit M. Pascal. Un patient se fait répondre «dans le système public, docteur X pourra vous prendre dans quelques mois, mais à titre privé ça peut se faire la semaine prochaine». Les associations de patients sont en guerre contre cette tendance.

Le paiement d'un acte médical privé en France est grosso modo divisé en trois: la Sécurité sociale défraie 70% du coût «conventionné», les assurances privées auxquelles souscrit 90% de la population défraient les 30% restant, et le patient doit payer de sa poche les «dépassements de coûts», qui font parfois doubler la facture. Certaines assurances privées couvrent une partie des dépassements, mais pas au-delà de 30%.

L'État ne peut pas s'opposer à ces dépassements, mais veut les encadrer. «La prochaine loi sur la santé imposera aux médecins de présenter un devis avant une opération, dit M. Pascal. Présentement les dépassements sont parfois annoncés après coup. Des devis permettront aux patients de magasiner leur médecin. Les Français s'habituent peu à peu à cette pratique.»