Bien que le Canada interdise l’importation d’articles issus du travail forcé dans la région chinoise du Xinjiang, un article publié lundi dernier dans La Presse a démontré que le coton chinois est omniprésent sur les étalages des grands magasins québécois. Quelles sont les solutions de rechange pour les consommateurs ?

Le coton provenant du Xinjiang n’est pas marginal sur le marché mondial. C’est de cette région autonome, la plus grande de la Chine, où vivent les Ouïghours, minorité musulmane qui est la cible de répression, que provient près du cinquième du coton produit sur la planète. Environ 85 % du coton chinois y est cultivé. Mais il est très difficile, voire impossible, pour un fabricant de savoir dans quelle région du pays a été récolté le coton qu’il s’apprête à acheter.

« Sur les certificats d’origine des tissus, on n’a pas la région d’origine, on a le pays d’origine », explique Julie Rochefort, présidente de Message Factory, entreprise de vêtements écoresponsables fabriqués au Québec qui chapeaute également la marque Oöm Éthikwear.

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Julie Rochefort, présidente de Message Factory

Pour les défenseurs des droits des Ouïghours, tous les vêtements qui portent l’étiquette « Fabriqué en Chine » sont suspects.

Qu’en est-il des vêtements fabriqués ailleurs, au Québec notamment ? Souvent quand il est question de provenance de la fibre, l’étiquette se fait muette. « Les fabricants ne sont pas obligés de divulguer la provenance de leur fibre, ils ne sont obligés d’inscrire sur l’étiquette que l’endroit où le produit fini a été fait », précise Léonie Daignault-Leclerc, designer de la marque Gaia & Dubos et titulaire d’une maîtrise des arts en mode de l’Université Ryerson de Toronto (spécialisation en mode durable).

Chose certaine, le coton des vêtements faits ici ne peut pas avoir été cultivé localement puisque le Canada n’en produit pas. Outre la Chine, les principaux producteurs de coton sont l’Inde, les États-Unis, le Pakistan, le Brésil et l’Ouzbékistan. Ce dernier avait été montré du doigt pour le travail forcé relié au coton, mais selon un rapport de l’Organisation internationale du travail publié en janvier dernier, le recours systématique au travail des enfants et au travail forcé dans l’industrie du coton y a pris fin.

Bien qu’il soit ardu pour les fabricants de remonter la chaîne d’approvisionnement, souvent constituée de multiples maillons établis dans divers pays, la mission n’est pas impossible.

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Léonie Daignault-Leclerc, auteure du livre Pour une garde-robe responsable

Comme designer, je sais d’où proviennent toutes mes fibres [d’Inde et de Turquie dans le cas du coton utilisé dans sa présente collection]. C’est toujours quelque chose que je demande à mes fournisseurs.

Léonie Daignault-Leclerc, designer de la marque Gaia & Dubos

« Avant même d’acheter mon premier morceau de tissu, je demande d’où il vient et la certification », affirme Julie Rochefort, qui précise éviter d’acheter du coton chinois, faute d’informations vérifiables. « Techniquement, quand on achète un certain volume, on devrait pouvoir aller chercher le certificat d’origine. »

Bien qu’ils puissent avoir des relations plus directes avec les fournisseurs, les designers indépendants n’ont pas le poids de géants comme Zara et H & M, fait remarquer Anne-Marie Laflamme, cofondatrice d’Atelier b, marque montréalaise axée sur la fabrication locale et les fibres naturelles.

« Notre travail, c’est de répéter souvent les questions et de demander des certificats écrits [aux fournisseurs]. Quand on a commencé, il y a 12 ans, il n’y avait aucune information sur la transparence et la traçabilité. Maintenant, les fournisseurs ont souvent de l’information et sont capables de répondre à nos questions. Ils ont de la pression de l’industrie, ils sont obligés de répondre et de prouver ce qu’ils disent. »

Mais, même lorsqu’elles détiennent l’information, peu de marques précisent la provenance des fibres sur les étiquettes de leurs produits. Certaines la divulguent cependant sur leur site internet. Pour l’entreprise torontoise Kotn, qui possède une boutique à Montréal dans le quartier Mile End, l’origine du coton (égyptien dans ce cas) est même au centre de sa philosophie et de son marketing depuis sa création.

De plus en plus, les consommateurs veulent savoir. « Cette semaine, j’ai reçu plusieurs courriels de clients qui nous demandaient d’où provenait notre coton, rapporte Anne-Marie Laflamme. Les clients nous questionnent tout le temps, ils nous poussent à aller plus loin. »

Atelier b évite également d’acheter du coton cultivé en Chine. Ayant effectué un stage dans ce pays en 2007, qui a été suivi d’un voyage d’un mois au Xinjiang, Mme Laflamme se dit très préoccupée par la situation des Ouïghours. « Si on avait pu avoir un contact direct avec un fermier là-bas, aller visiter et développer une relation, ce serait différent, mais ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire en ce moment. »

Tissu certifié

Gaia & Dubos, Message Factory et Atelier b utilisent toutes un coton biologique certifié par Global Organic Textile Standard, certification qui garantit non seulement le caractère biologique du tissu, mais aussi qu’il a été produit dans des conditions de travail justes, alignées notamment sur les normes de l’Organisation internationale du travail. L’organisme FLOCERT (Fairtrade Canada) émet également des certifications pour le coton issu du commerce équitable.

Selon Lis Suarez-Visbal, ex-directrice de l’organisme FEM International, qui a lancé en 2010 à Montréal un incubateur de mode éthique baptisé Ethik-BGC, il faut faire preuve de vigilance face à ces certifications et s’assurer que la vérification s’applique à toutes les étapes de production. « C’est devenu une business et c’est difficile pour les plus petits d’avoir une certification, déplore-t-elle. Mais, c’est mieux que rien. Ça donne une certaine diligence raisonnable, alors que de l’autre côté, il y a la bonne foi. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions ! »

Pour celle qui poursuit actuellement des recherches aux Pays-Bas dans le cadre d’un doctorat sur l’impact social de l’économie circulaire sur l’industrie du textile, le boycottage des vêtements faits de coton chinois n’est pas nécessairement la solution pour mettre fin au travail forcé des Ouïghours. « Comme consommateur, il faut se demander : qu’est-ce qui va améliorer les conditions pour les travailleurs là-bas ? Il faut exercer la pression et le dialogue social. On s’entend que c’est compliqué parce qu’on parle de la Chine, mais les consommateurs doivent demander aux gouvernements et aux entreprises d’agir. »