Après s’être penchée sur le mariage, notre collègue Olivia Lévy, journaliste à La Presse, réfléchit non pas au divorce, mais à la famille (l’autre suite logique) dans Au secours ! J’ai des enfants !, un essai à la fois drôle et sérieux sur les joies, les peines et les défis d’être parent.

« Je ne suis pas à boutte ! », précise-t-elle d’emblée. Malgré ce que peut laisser sous-entendre le titre qu’elle a choisi pour son plus récent livre, Olivia Lévy ne s’inscrit pas dans le courant déjà bien exploité des mères à boutte ou indignes, qui se sont levées afin de faire contrepoids aux mères parfaites. Ce qu’elle souhaitait proposer avec ce livre, qu’elle a rédigé lors d’un séjour en Allemagne d’où elle revient tout juste après y avoir vécu deux ans, ce sont des réflexions sur la parentalité, le choc de la maternité, l’éducation des enfants, la folie de la performance, le partage des tâches et la fameuse conciliation travail-famille.

Mère de deux enfants, aujourd’hui âgés de 9 et 10 ans, elle a vécu la maternité comme un raz-de-marée. « Cette transition est extrêmement difficile, parce que comme à l’adolescence, c’est un changement d’identité, observe-t-elle. J’ai eu beaucoup de mal avec ce changement, comme s’il y avait une chape de plomb qui me tombait sur la tête. »

J’avais sous-estimé ce poids des responsabilités. Ça change ta vie totalement et c’est impossible à imaginer tant que tu n’as pas accouché. […] Je ne suis pas devenue adulte quand je me suis mariée, je suis devenue adulte quand j’ai accouché !

Olivia Lévy

Le livre s’ouvre alors qu’un taxi la mène à l’hôpital, où on l’opérera pour une pancréatite aiguë. « J’ai lancé au chauffeur : ‟Monsieur, s’il vous plaît, faites vite, je suis une mère de famille, j’ai deux enfants de 2 et 4 ans, je ne peux pas mourir !” » Cette histoire, elle la raconte non pas pour montrer que la vie d’un parent est plus importante, mais pour illustrer cette lourde responsabilité dont on se sent investi.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Olivia Lévy est la mère de Romain et Inès, respectivement âgés de 9 et 10 ans

À travers des anecdotes personnelles livrées avec l’humour qui la caractérise, Olivia Lévy discute avec des psychologues, des sociologues, des psychoéducatrices, des pédiatres et de nombreux parents de l’évolution de la famille québécoise, mais aussi des modèles allemand et français qu’elle connaît bien. Née au Québec de parents français, elle est mariée à un Français (le mystérieux Monsieur A) et a vécu sept ans à Paris. Même si le modèle québécois n’est pas parfait, il est certainement plus équilibré, remarque-t-elle.

« Les Français ont un filet social très présent, mais bizarrement, des congés parentaux ultra-courts. En Allemagne, c’est en train de changer, mais l’école primaire se termine à 13 h. Il n’y a pas de services de garde. Ce sont les mères qui viennent chercher les enfants. Plusieurs travaillent à temps partiel. Quand tu es allemande, tu dois choisir entre avoir une carrière et une famille. »

Les Allemands ont même un terme, Rabbenmutter (mère corbeau), pour désigner une mère jugée négligente parce qu’elle poursuit une carrière.

Une « révolution » à poursuivre

Si, au Québec, les tâches familiales sont mieux réparties, la « révolution n’est pas terminée », souligne Olivia Lévy en citant Maude Boulet, professeure adjointe à l’École nationale d’administration publique (ENAP), qui a participé à l’étude Le partage des tâches dans la famille : une transition inachevée ? Bien qu’elle constate que les pères d’aujourd’hui sont beaucoup plus impliqués que les précédents (elle leur consacre d’ailleurs un chapitre), la journaliste rappelle que « les hommes n’ont pas autant investi la sphère domestique que les femmes l’ont fait dans la sphère professionnelle ».

Et est arrivée la pandémie, qui a affecté la situation des femmes à cet égard. D’octobre 2019 à octobre 2020, 68 % des emplois perdus au Québec étaient occupés par des femmes, selon le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec.

Les parents québécois sortent d’une période difficile. On a perdu nos repères. On a ralenti, oui et non, dans le sens où au début, on était pris avec les enfants quand les écoles ont fermé. C’était la catastrophe.

Olivia Lévy

Une catastrophe de laquelle, espère-t-elle, nous tirerons du bon, comme le télétravail, planche de salut des familles, selon elle.

La reprise des activités et de la vie sociale est aussi l’occasion de se rappeler qu’on ne peut pas tout faire. « Je sais que ce n’est pas très 2021 à dire, mais quand tu as des enfants, il faut que tu allèges ton quotidien, d’une façon ou d’une autre. Je n’ai pas tant allégé que ça au départ », remarque celle qui a néanmoins quitté son prenant poste de productrice au contenu pour l’émission Star Académie avant de se joindre à La Presse en 2013. « On a encore cette image de la femme super active qui veut tout accomplir et tout organiser. Le DChicoine [Jean-François, pédiatre au CHU Sainte-Justine] dit que ça prend du temps, un enfant. C’est une évidence, mais on ne la met pas en application. »

Attention, toutefois : ralentir, oui, tout en se gardant du temps pour soi. « Il y a une étude faite par la psychoéducatrice Stéphanie Deslauriers qui m’a beaucoup amenée à me questionner. Elle montre que la différence entre les mères heureuses et épanouies et celles qui le sont moins, c’est l’égoïsme parental. Si tu t’occupes de toi, tu vas te sentir mieux, ta famille va se sentir mieux. » Et c’est bien plus que de faire un cours de Pilates en ligne pendant que les enfants essaient de suivre derrière !

Au secours ! J’ai des enfants !

Au secours ! J’ai des enfants !

Les Éditions de l’Homme

232 pages