Un peu plus tôt cette année, une dispute judiciaire mettant aux prises les membres d’un couple séparé a éclaté devant la Cour du Québec. Au cœur du litige : à qui reviendra Léo ? Mais Léo n’est pas un enfant : c’est un chien de type berger, et la juge a dû trancher pour savoir à qui il appartenait.

Les séparations imposent souvent des choix difficiles et douloureux, entre répartition des biens matériels et garde des enfants. Parfois, c’est un animal de compagnie qui se retrouve au milieu du jeu de quilles, réclamé par l’une et l’autre des parties. Et puisque les Québécois n’ont jamais été aussi nombreux à accueillir un compagnon au sein de leur foyer et que les ruptures restent monnaie courante, le risque qu’un chien ou un chat devienne l’objet de tiraillements s’en trouve augmenté.

Récemment, la Cour du Québec a été saisie pour se prononcer sur le cas de Léo, qui avait été adopté par un couple en 2018. Lors de leur séparation en avril 2020, les conjoints s’étaient mis d’accord sur une garde partagée ; toutou ferait périodiquement ses valises pour loger alternativement d’une enseigne à l’autre. Mais quelques mois plus tard, l’un des deux ex indique qu’il compte conserver le chien à temps plein, ce que refuse son ancien partenaire, gardant Léo avec lui. Face à l’impasse, la cause est portée devant les tribunaux, auxquels on demande de trancher : Léo a-t-il un propriétaire unique officiel ?

Après auditions et analyse de ce cas particulier, la juge Julie Philippe a statué que le chien se situait entre deux chaises. « Le Tribunal en vient à la conclusion que les parties sont copropriétaires de Léo », lit-on dans la décision, motivée entre autres par le fait que le projet d’adoption avait été mené conjointement, que les deux membres du couple ont participé aux frais liés à l’animal, que des liens s’étaient créés entre tous, et ce, même si un seul nom de propriétaire apparaît dans les documents officiels du chien.

Et l’intérêt animalier ?

Le fait de porter devant la justice la question de la propriété d’un animal dans le cadre d’une séparation est relativement fréquent, mais ce type de jugement intervenu dans l’affaire de Léo est en revanche beaucoup plus rare, rapporte l’avocate Sophie Gaillard, directrice de la défense des animaux et des affaires juridiques à la SPCA de Montréal. « D’habitude, dans ce genre de litige, les tribunaux appliquent par défaut les règles qui s’appliquent aux biens meubles, et la personne qui a acheté ou adopté l’animal est déclarée comme propriétaire », indique MGaillard, soulignant que, dans le cas ci-dessus, l’analyse est davantage contextualisée et tient compte des liens avec le chien.

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MSophie Gaillard, directrice de la défense des animaux et des affaires juridiques pour la SPCA de Montréal

Toutefois, l’avocate regrette que l’intérêt de l’animal n’ait pas été le facteur déterminant dans la décision et aimerait voir les choses évoluer à ce sujet. « Depuis 2015, on reconnaît dans le Code civil du Québec que les animaux ne sont pas des biens, mais des êtres sensibles. Pourtant, en matière de droit de la famille, quand vient le temps de déterminer la garde dans le cadre d’une séparation, on applique froidement les principes qui s’appliquent aux biens. Il y a une sorte d’incohérence actuellement dans le droit québécois », déplore-t-elle, précisant que la Suisse, l’Espagne ou plusieurs États américains ont voté des lois pour que l’intérêt et le bien-être d’un animal soient au cœur de la décision en cas de séparation conjugale.

La SPCA de Montréal espère profiter de la réforme du droit de la famille, dont un second volet sera lancé en 2023, pour revendiquer l’ajout d’un article allant dans ce sens. Une pétition à l’initiative de l’organisme est d’ailleurs en circulation pour faire pression sur le gouvernement.

En attendant l’éventuelle introduction d’un article modifiant les modalités de la garde d’animaux, un contrat type à signer préventivement par des couples propriétaires de compagnons poilus a été mis à la disposition du public, aidant à déterminer les conditions de garde en cas de rupture.

Consultez le contrat type

Précision
Une version précédente de ce texte indiquait que le tribunal devait trancher sur la question de la garde de l’animal, alors qu’il s’agissait plutôt du droit de propriété du chien.