Les Fêtes approchent à grands pas et vous avez la langue à terre ? Vous n’êtes assurément pas seuls. Alors avant de penser aux autres, il est peut-être grand temps de penser à soi. Et on ne parle pas ici de se couler un bain ou de siroter un verre de vin. Si on osait enfin des changements francs, à commencer par notre relation au travail, au succès, mais surtout à l’échec ?

Courir après sa queue, viser l’excellence, en quête d’une franche reconnaissance, ça vous dit quelque chose ? Un chercheur propose d’en finir avec cet essoufflant refrain, pas à peu près. Au lieu de viser le succès, il suggère de réhabiliter… l’échec.

Audacieuse proposition, qui nous vient ici de Florian Grandena, professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa, à qui l’on doit le collectif au titre pour le moins intrigant : Échecs et vomissements – Réflexions sur l’insuccès comme mode de vie et philosophie, codirigé avec Éric Mathieu (auquel a notamment collaboré Kevin Lambert), publié plus tôt cet automne.

Une réflexion qui tombe à pic en cette ère d’inflation, de compressions, de faillites et autres mises à pied qui ne cessent de se multiplier. Piquée par son propos, nous avons contacté le chercheur et auteur pour en savoir plus.

« Quand on définit le succès selon les termes néolibéraux, on ne peut qu’être déçu, explique-t-il en entrevue. Ce n’est pas raisonnable pour qui que ce soit ! »

Ni « raisonnable » ni franchement vivable, comprend-on, puisque ledit succès se veut ici « total », « immédiat » et « extrême », carrément « foudroyant ». Or, qui vit vraiment une chose « totale » pareille ?

C’est une définition [du succès] que je trouve assez perverse. Les gens qui connaissent un succès foudroyant vont généralement connaître un échec tout aussi foudroyant…

Florian Grandena, professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa

Ces propos vous choquent ? Il faut savoir que Florian Grandena n’est pas seul, ces jours-ci, à remettre en question cette « tyrannie du succès » et la grande fatigue qui en découle. Il suffit de penser à Bianca Gervais, qui a signé une riche réflexion sur notre épuisement collectif, plus tôt cet automne, dans Crevée, un documentaire diffusé sur Tou.Tv Extra ; ou encore à Amelia et Emily Nagoski, deux sœurs et chercheuses qui ont proposé une variation scientifique (et féministe) sur le même thème avec Brûlées (la traduction attendue de Burnout) ; sans oublier la psychoéducatrice Stéphanie Deslauriers, dont le titre du dernier ouvrage dit tout : Tu mérites mieux qu’un bain moussant. Pas de doute, si l’on souhaite réellement vivre moins de pression au quotidien, moins de fatigue en général, socialement parlant, les changements nécessaires dépassent largement les bulles ou les bougies parfumées.

Normaliser l’échec

Que faire, alors ? « Il n’y a pas de recette magique, précise ici Florian Grandena, mais pour moi, personnellement, envisager l’échec de façon positive est très important. » Plus facile à dire qu’à faire, il en convient. Si l’exercice bouscule, il est aussi plus philosophique que pratique. Il a surtout le mérite d’ouvrir le discours sur de nouvelles perspectives, à commencer par une normalisation de l’expérience.

CRÉDIT PHOTO ÉLISE GLÜCK, FOURNIE PAR FLORIAN GRANDENA

« L’échec est une expérience tout à fait normale ! », défend Florian Grandena, professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa.

L’échec est une expérience tout à fait normale ! En apprentissage, on ne va pas du point A au point B, on passe par Z aussi !

Florian Grandena, professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa

Après quelques détours par D ou Y, pourrions-nous ajouter.

En d’autres mots, il est tout à fait normal de ne pas réussir une tâche à la perfection, tel que voulu ou demandé, et ce n’est pas nécessairement un échec, avance-t-il. Que ce soit en écriture, en cuisine ou en sport, peu importe le domaine, posons la question : « Pourquoi on n’arrive pas ? Peut-être que les conditions matérielles n’étaient pas remplies, peut-être que c’étaient les conditions mentales ? Ou peut-être n’est-on tout simplement pas encore capable ? »

À noter que non seulement c’est normal, mais aussi « cela fait partie de l’apprentissage d’une profession, ou de l’apprentissage d’une relation, insiste-t-il. Cela fait partie de l’apprentissage de la vie, quoi ! Et c’est absolument essentiel ! »

Modifier ses perspectives

Vous êtes déçu ? Vous vous sentez frustré ? En colère ? Tout comme l’échec, Florian Grandena souligne l’importance de réhabiliter ici ces émotions soi-disant « négatives ».

Pourquoi on réprimerait la colère ? C’est une émotion tout à fait humaine et rationnelle. Ce sont des émotions inévitables dans la vie d’une personne, il faut les regarder en face. Elles font qui nous sommes : des êtres sensibles !

Florian Grandena, professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa

Tout cela est très philosophique, concède notre interlocuteur, mais non moins essentiel. Car en revisitant l’échec, on revisite en même temps le succès. L’auteur ose ici une confidence bien personnelle. Longtemps, dit-il, il a espéré une reconnaissance de son milieu, notamment de son employeur. « Mais peut-être que ce succès n’était pas la bonne chose à attendre, confie-t-il. Pour moi, le succès, ce n’est pas avoir mon doyen qui m’appelle trois fois par jour. Pour moi, maintenant, le succès, c’est quand je suis satisfait de moi parce que je fais un bon cours ou je signe un bon livre ou… je réalise une bonne entrevue avec une journaliste. »

Si l’on pouvait réaligner ainsi nos attentes, modifier nos perspectives et remettre certaines pendules à l’heure, sans doute serions-nous tous plus « en paix avec nous-même », croit-il, carrément plus « heureux ».

« Quand on reconnaît que l’échec fait partie intégrante de la création […], quand on comprend que cela fait partie du processus, on ne va plus se bloquer, parce qu’on sait que cela va nous mener ailleurs. Alors on vit avec moins d’angoisse, moins de stress et moins d’émotions pseudo-négatives. […] L’échec est tabou, conclut-il. Oui, ça fait très mal de ne pas réussir, mais… c’est comme ça ! […] Cela fait partie de notre expérience humaine. »

Échec et vomissements – Réflexions sur l’insuccès comme mode de vie et philosophie

Échec et vomissements – Réflexions sur l’insuccès comme mode de vie et philosophie

Somme toute

224 pages

Lisez « Dix idées pour dompter la fatigue »