Dans En finir avec la rivalité féminine, la journaliste Élisabeth Cadoche et la psychothérapeute Anne de Montarlot se penchent sur ce sujet tabou. Mais d’où vient cette rivalité féminine ? Pourquoi juge-t-on sévèrement les autres femmes en passant des commentaires désobligeants ? Est-ce par manque de confiance en soi ? Élisabeth Cadoche répond à nos questions.

La rivalité féminine, est-ce un sujet tabou ?

Il y a beaucoup de déni autour de cette question. On s’en est vite rendu compte lors de notre précédent livre sur le syndrome d’imposture. On a eu des témoignages glaçants sur des inconduites de femmes à l’encontre d’autres femmes, au travail, notamment. C’est malséant de dire qu’on se sent en rivalité avec sa collègue, sa meilleure amie, sa sœur ou même sa fille, l’ultime tabou. Cette rivalité existe, sous forme de jalousie, d’envie, de mesquineries et sous forme de commentaires très méchants de femmes envers d’autres femmes.

D’où vient cette rivalité féminine ?

Historiquement, il y a cette idée qu’il faut éliminer les concurrentes potentielles, c’est ancré dans notre psyché, dans notre culture. Les stéréotypes commencent dès l’enfance avec des contes et légendes de méchantes belles-mères, de sœurs rivales et malveillantes, ça nourrit l’imaginaire. Il y a aussi le fait qu’autrefois, les femmes qui n’avaient pas de terre ni de biens, leur seule façon d’accéder à un statut social passait par le mariage et ça passait par les hommes. On voulait leur plaire à tout prix, ce qui est resté.

Historiquement les femmes n’avaient pas les mêmes qualités que les hommes ?

Le regard de la femme sur d’autres femmes est encore biaisé par des siècles de domination masculine. La culture occidentale est remplie de références de bravoure des hommes qui s’affrontent en duel ou lors de combats épiques de chevaliers. Le mâle se réalisait dans la lutte. Comme si sa valeur dépendait de sa façon de gérer la rivalité qui devient constitutive de son pouvoir. Chez les femmes, la rivalité n’est pas de mise, une femme n’est pas faite pour le combat ni pour la démonstration de force. Une femme s’accomplit non pas dans la rivalité, mais dans la maternité. Une femme, c’est doux, c’est gentil, c’est solidaire, sinon c’est une mégère (Shakespeare) ou une hystérique (Freud).

La rivalité masculine est acceptée, contrairement à celles des femmes ?

Chez les hommes, la rivalité est non seulement acceptée, mais valorisée. L’agressivité, le combat et l’ambition ne font pas partie du répertoire féminin. Il n’y a pas de confrontation directe permise, parce qu’on attend des femmes qu’elles soient douces et qu’elles aient de l’empathie. Ce qui se manifeste de manière frontale chez l’homme devient tangent et détourné chez la femme. Les femmes n’ont pas appris à gérer la rivalité, alors quand elles ont de l’ambition, elles se taisent, mais elles ont recours à d’autres stratégies qui sont les rumeurs et le passif agressif, ce qui peut nuire dans un milieu professionnel. Une étude américaine a révélé que 63 % des femmes préfèrent avoir un homme comme patron. Les femmes disent souvent que les patronnes sont émotives, méchantes ou garces.

Cette rivalité féminine vient notamment du manque de confiance en soi ?

Oui, quand on se sent en rivalité avec une autre femme, c’est que très souvent on projette sur elle nos propres failles et notre manque de confiance. Il y a tellement de femmes qui font des réflexions sur la manière dont s’habillent les autres femmes, on en a tous fait, avouons-le. On juge tellement sévèrement le corps des femmes, il y a des injonctions autour de la beauté, de la jeunesse, de la minceur et tout ça est amplifié par les réseaux sociaux. Les femmes se comparent sans cesse, sont très dures entre elles, mais il faut être vigilantes, et prendre conscience de nos réflexes misogynes. Il faut apprendre à être dans la solidarité.

Vous évoquez aussi la rivalité intrafamiliale ?

On a coutume de dire que les relations entre sœurs, c’est un laboratoire pour les relations futures. Dans une fratrie, on se dispute l’attention et l’amour des parents, c’est naturel, ça nous apprend à partager et à nous comporter en société avec d’autres femmes. Le tabou ultime, c’est la rivalité entre une mère et sa fille, car malheureusement, il y a des mères jalouses de leur fille, c’est terrible. C’est un combat perdu d’avance, car votre fille sera toujours plus jeune et accomplira peut-être des choses que vous n’avez peut-être pas pu réaliser.

La rivalité peut-elle aussi être saine ?

La rivalité est inévitable parce que c’est une émotion, c’est l’envie, la jalousie, la comparaison, ce qui est humain, et lorsque la rivalité est bien utilisée elle peut être un moteur formidable comme dans le sport, où on parle de compétition saine et de dépassement de soi.

Faut-il développer davantage la solidarité entre femmes ?

Des exemples de solidarité entre femmes sont très inspirants. C’est notre responsabilité à toutes, de changer les choses, de s’unir, de s’entraider, d’arrêter de faire des commentaires désagréables. Il faut avoir conscience de nos comportements. Il faut se dire que dorénavant, je ne commenterai plus le corps d’une femme. Cette manière d’être dans le jugement, il faut vraiment arrêter ça et être du côté des femmes, ne rien laisser passer, tendre la main, s’entraider. Il faut apprendre à admirer au lieu d’envier.

En finir avec la rivalité féminine

En finir avec la rivalité féminine

Les Éditions de l’Homme

288 pages