Non. Et de manière générale, c’est tout à fait normal. La peur, le stress et l’anxiété sont des « émotions négatives importantes et passagères », tout particulièrement à l’adolescence. Qu’on se le dise. Et qu’on cesse enfin de les diaboliser. Treize chercheurs sonnent l’alarme.

« Quand l’anxiété ronge les jeunes », « Taux préoccupants de symptômes d’anxiété » : à croire quantité de gros titres depuis la pandémie, la majorité des jeunes vont mal, très mal. Or, c’est faux, rétorquent 13 chercheurs québécois, parmi lesquels nombre de sommités en matière de santé mentale, dans une lettre ouverte publiée aujourd’hui dans la section Débats. Et l’affirmer comporte son lot de pernicieux dangers.

La lettre intitulée « Anxiété des jeunes : cessons de faire peur au public », signée entre autres par Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain, dénonce beaucoup de « données biaisées » qui circulent dans les médias en matière d’anxiété chez les jeunes en particulier, et d’anxiété tout court.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, LA PRESSE

Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain, instigatrice de la lettre ouverte « Anxiété des jeunes : cessons de faire peur au public »

Il faut dire que, pas plus tard que la semaine dernière, une énième étude affirmait en effet que « plus de la moitié des jeunes Québécoises vivent anxiété ou dépression ».

« Bien que nous soyons conscients que la pandémie a pu affecter la santé mentale de certains, 50 % de jeunes qui souffrent d’anxiété, c’est beaucoup, rétorquent les chercheurs dans leur lettre. Il est donc important de se demander si ces affirmations extraordinaires […] peuvent provenir d’interprétations abusives. »

Selon les signataires, ce seraient plutôt entre 20 et 25 % des jeunes qui seraient aux prises avec des problèmes d’anxiété, soit deux fois moins.

Pourquoi un tel écart dans les chiffres ? La lettre énumère une série de précautions à prendre en analysant ces données : le portrait a-t-il été obtenu à de nombreuses reprises, est-ce que seuls les jeunes qui vont mal se sont sentis interpellés et ont répondu, l’anxiété rapportée est-elle « normative » ou réellement « pathologique » ?

Parler toujours aussi négativement de l’anxiété dans la sphère publique pourrait rendre les jeunes craintifs de ressentir de l’anxiété, alors que celle-ci est souvent gérable, saine et normale pour la majorité d’entre eux.

Extrait de la lettre « Anxiété des jeunes : cessons de faire peur au public », signée par 13 chercheurs en santé mentale

« Il nous arrive tous d’être très anxieux, ou très stressés, et c’est tout à fait normal, mais de là à dire que c’est pathologique !, lance en entrevue Réal Labelle, signataire et professeur titulaire au département de psychologie de l’UQAM, également chercheur au Centre de recherche et d’intervention sur le suicide. Il y a des soirs où je suis assez déprimé, illustre-t-il, mais je ne suis pas en dépression du tout ! »

Ce discours alarmiste est d’ailleurs contre-productif, poursuivent les signataires. « On est en train de stresser les jeunes à force de parler sans cesse des effets négatifs du stress », rajoute Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et instigatrice de la lettre. Ce n’est pas comme ça qu’on va les aider. »

Comment les aider, justement ? En rappelant ce qu’est l’anxiété, et surtout une anxiété normale. En gros, oui, « il est tout à fait normal d’être anxieux avant un examen », rappelle-t-elle, en déplorant à quel point le discours ambiant « pathologise le normal ».

Ce faisant, on risque d’ailleurs de noyer les vrais cas, déplore-t-elle. « Le petit qui souffre vraiment d’anxiété dans sa chambre, lui, on va le perdre, parce qu’il n’y aura plus de place pour lui dans les services. […] À force de faire peur, on ne va nulle part ! »

À noter que les chercheurs ne nient pas l’existence d’enjeux pathologiques. « Bien sûr qu’il y a des cas [pathologiques] : quand cela réduit la qualité de vie des gens. Mais ce n’est pas le cas de plus de 50 % des jeunes. »

Lisez la lettre ouverte